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tout son pouvoir à leur entrée en masse dans l’organisme impérial : la monarchie pourrait s’y insinuer à leur suite. Pour entretenir le fossé qui fait sa sécurité, il y verse de temps à autre un peu de sang, celui des chouans attardés qui tombent sous sa grille : en 1809 encore, longtemps après la pacification de l’Ouest, c’est à son instigation qu’on fusille La Haye Saint-Hilaire et Armand de Chateaubriand. Disgracié en 1810, il se refuse en 1814 aux ouvertures de Vitrolles, de Blacas : il ne peut pas croire à un pardon que sa conscience ne lui accorde pas. Aux Cent Jours, son maître le reprend par force, à contre-cœur, sachant que ce fourbe trahira à journée faite.

Chef réel du gouvernement provisoire après Waterloo, imposé à Louis XVIII par les Anglais, par les Russes, par l’inexplicable engoûment de la société légitimiste, sollicité par le Comte d’Artois lui-même, on le voit enfin entrer chez le Roi Très-Chrétien au bras de Talleyrand, « le vice appuyé sur le crime. » Il vient d’épouser en secondes noces une fille d’une des plus nobles maisons de Provence ; le roi a signé au contrat, les salons du faubourg Saint-Germain et les chancelleries étrangères cajolent à l’envi l’homme d’Etat providentiel. Il y a bien la Chambre introuvable : mais Fouché se moque des assemblées parlementaires, sa longue expérience les dédaigne, « ces machines qu’on remonte et démonte à volonté. » Cette fois, il la croit gagnée, l’invraisemblable gageure ; effacée à jamais, la tache maudite. Non. Des yeux offensés l’aperçoivent encore, ceux de la fille de Louis XVI, qui rentre aux Tuileries et se trouve mal devant le régicide. Un cri d’horreur s’élève, répond aux plaintes de la princesse, confond les calculs des politiques. Fouché tombe pour ne plus se relever. Le roman de Renard est fini. Il erre quelques années à travers l’Europe, hôte suspect repoussé de tous les gîtes, il va expirer au bord de l’Adriatique ; la mort le surprend à Trieste, en train d’établir les comptes de son inutile richesse et de brûler ses papiers de policier. La page est belle où l’historien, oublieux de ses préventions indulgentes, évoque dans cette fumée, au chevet de ce lit de mort, les ombres sanglantes qui se lèvent du charnier des Brotteaux.

M. Madelin a minutieusement étudié le ministre de l’Empire et de la Restauration ; il ne nous découvre rien de nouveau dans l’âme trouble dont il avait sondé d’abord tous les replis. La psychologie de Fouché tenait déjà tout entière dans la