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bienveillant et sensé ! Y songez-vous ? Il ne peut y avoir rien de commun entre lui et ces atroces criminels. — Mais les massacres de Lyon ? — C’est son adjoint Collot d’Herbois, ce tigre, qui en demeure chargé. L’autre a tout fait pour les empêcher. — Fouché possède l’anneau magique des politiciens heureux, qui ont le don de faire oublier après six mois toutes leurs fautes, tous leurs crimes, alors que les maladroits restent éternellement noircis par une peccadille. Au milieu de ses plus odieux forfaits, il sait assurer sa retraite pour le temps de la réaction ; ce n’est pas assez de dire qu’il est à double face, il nous apparaît protéiforme, il déconcerte le jugement de ses victimes elles-mêmes. Son biographe a très bien montré ce savant jeu de bascule. L’animal rusé recoupe sans cesse sa piste, donne le change ; il s’approvisionne de quelques actes de clémence, il se ménage des amis et des répondans parmi ceux mémos dont il égorge les proches. Les plaignans de Clamecy, qui déposeront contre lui à la barre de la Convention, le diront dans le jargon du temps : « Il présentait d’une main l’olive de la paix, il organisait de l’autre les poignards de la tyrannie. » — On ne les écoutera pas.

Seul, l’ancien camarade d’Arras ne se laisse pas séduire à ces manèges. Le regard aigu de Robespierre a percé le double jeu de Fouché. L’incorruptible, le croyant, — oui, le croyant, — exècre ce sceptique comme il exécra Chaumette, pour les mêmes motifs. Bourgeois conservateur à sa façon, déiste fidèle au culte du Vicaire Savoyard, le dictateur ne pardonne ni le communisme ni l’athéisme. Il a juré la perte de l’hérésiarque, de l’anarchiste qui intrigue avec Gracchus Babeuf ; qui, par surcroît, avait promis mariage à Charlotte Robespierre et s’était joué d’elle. Au retour de la mission lyonnaise, un duel terrible s’engage entre les deux adversaires, se poursuit à la Convention, aux Jacobins. Fouché donne peu de sa personne, il rompt, il ruse, il arme les bras de Tallien, de Barras, il presse les conjurés d’agir. Ses sauveurs agissent enfin, au 9 thermidor, et il n’était que temps : Maximilien allait faire justice. Je le dis sans ironie. Fouché sauvé nous fait presque regretter Robespierre. Celui-ci valait mieux. Il croyait du moins à l’utilité publique du sang qu’il versait. L’autre n’en répandait que pour son utilité personnelle. — Relevons ici une vue très fine de M. Madelin, et qui fait honneur à son sens d’historien : dans la lutte de ces deux hommes, tout au fond de la querelle tranchée le 9 thermidor, comme au fond de