Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une besogne commandée, sans conviction, eu bon employé qui veut de l’avancement, fait sa tâche quotidienne, et la méprise. Les phrases boursouflées qu’il aligne, dans ses rapports à la Convention, il n’en pense pas un mot, il ne ressent aucune des passions qu’elles expriment : il le dira cyniquement plus tard. Le charabia déclamatoire sonne d’autant plus creux sous la plume de cet humaniste pondéré, sceptique. Notons-le en passant, notre langue de raison et de clarté devient le galimatias d’une maison de fous, à l’heure même où elle ne parle que du règne de la raison et des lumières ; les mots, terrorisés et torturés comme les hommes, attestent la démence des idées qu’on les condamne à traduire ; ils laissent une impression de mascarade et d’épilepsie.

Ce fut à Lyon que Fouché donna toute sa mesure. On l’envoyait raser la ville rebelle qui devait faire place à Commune-Affranchie. « Les démolitions sont trop lentes… L’explosion de la mine et l’activité dévorante de la flamme peuvent seules exprimer la toute-puissance du peuple… » Trop lente aussi, la guillotine. Dans la plaine des Brotteaux, entre les fosses parallèles qui recevront leurs corps, les proscrits tombent par centaines sous la mitraille, au signal donné d’une estrade par le représentant empanaché. On achève les malheureux à coups de pique ; le proconsul va se délasser de ces boucheries en suivant le cortège qui promène l’âne couvert d’une chape et coiffée d’une mitre, portant à la queue un crucifix, la Bible et l’Evangile. Le soir, ce bon père de famille, — il le fut toujours, accordons-lui cette justice, — rédige le compte rendu de ses exploits entre les berceaux de son fils Joseph-Liberté et de la petite fille née à Nevers, baptisée civilement sous le nom de Nièvre Fouché. Il écrit au Comité) : « La terreur, la salutaire terreur, est ici à l’ordre du jour… Los représentons auront le courage énergique de traverser les immenses tombeaux des conspirateurs et de marcher sur des ruines, pour arriver au bonheur de la nation et à la régénération du monde. » Il écrit, et il sourit intérieurement de ces sottises, comme un spirituel diplomate sourit des formules protocolaires qu’il adresse à un chef sauvage.

Quelques mois vont passer : les émules du Nantais, qui non ont pas fait davantage, un Fouquier-Tinville, un Le lion, un Carrier sombreront dans la réprobation publique, paieront leur dette sur l’échafaud. — Et Fouché ? — Comment, cet homme