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ces difficultés fussent réellement, invincibles. Cette excuse invoquée au profit de Jourdan, il n’est que juste d’en faire bénéficier Pichegru. On ne saurait, sans méconnaître la vérité, l’accuser d’avoir trahi pendant la campagne qui finissait. Ce n’est pas seulement l’opinion de Barras, qui traite d’imposteurs les émissaires de Condé et déclare que le Directoire ne crut pas au bien fondé de l’accusation, même lorsqu’il l’utilisait en vue de ses desseins politiques. C’est aussi l’opinion de Gouvion-Saint-Cyr. Après avoir raconté les négociations relatives à l’armistice, il écrit : « Jusqu’à présent, j’ai défendu les opérations militaires de Pichegru contre l’inculpation de trahison. » L’affirmation vient d’un adversaire qui va se transformer en accusateur ; elle peut être efficacement opposée aux dires de Montgaillard et de Fauche-Borel ; elle en débarrasse le terrain.

Est-ce à partir de ce moment, que la trahison a commencé ? Gouvion-Saint-Cyr le croit. Mais sa conviction se fonde sur un fait qu’il énonce sans en fournir la preuve et sur des suppositions : « Quand on voit Pichegru, sans aucune nécessité, laisser périr son armée de faim et de misère, les faits parlent si haut qu’il est impossible de se refuser à leur évidence. Ne croyant pas pouvoir entraîner son armée dans la révolte, il veut employer l’armistice qu’il s’est vu obligé de consentir pour la détruire par les privations et la mettre hors d’état de recommencer, au printemps, une nouvelle campagne. »

Quel juge impartial condamnerait sur une accusation ainsi formulée ? N’est-il pas évident que Gouvion-Saint-Cyr subit ici des préventions dont l’origine est postérieure à l’événement ? Où est la preuve que Pichegru a laissé son armée périr de faim et de misère ? Si l’armistice n’a pas pour effet immédiat de la faire passer de la détresse au bien-être, la faute en est-elle à lui ? Est-il juste de le rendre responsable des maux qu’elle endure après l’armistice, alors qu’il ne l’était pas de ceux qu’elle endurait avant ? C’est par trop oublier qu’elle vit dans un pays ruiné par la guerre, accablé depuis longtemps de réquisitions et d’impôts, et que, continuant à ne rien recevoir du dehors, elle ne peut, du jour au lendemain, y voir la disette se transformer en abondance. Opérer une telle métamorphose en quelques jours n’est pas au pouvoir du général qui la commande.

Ce qui se passe à l’armée de Rhin-et-Moselle n’est que l’image de ce qui se passe à l’armée de Sambre-et-Meuse. Jourdan ne