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tromper le prince de Condé, entasse mensonges sur mensonges[1]. On peut juger de ce qu’ils valent. Il ment, lorsque, le 9 décembre, il écrit à Montgaillard : « Aujourd’hui, j’adresse à l’adorable fille (Pichegru) votre lettre du 6, reçue en ce moment. Elle lui servira de direction. Croyez que son amour pour vous est bien prononcé et que vous n’avez à craindre aucune infidélité de sa part. » Il ment encore, lorsque, le 12, il reprend : « Je ne doute point que notre adorable amie ne s’arrange pour faciliter, promptement les termes du contrat de mariage. La parole étant donnée, vous n’avez plus rien à craindre que les longueurs qui pourront venir des parens. »

Tel ne paraît pas être l’avis de Klinglin. Le 8 décembre, il disait à Condé : « J’ai l’honneur d’envoyer à V. A. S. une copie de la lettre que Furet (Demougé) vient de m’envoyer. Vous y verrez que Pichegru donne toujours des espérances vagues. Il me semble que M. Wickham doit avoir des certitudes plus prononcées, vu la dépense qu’il fait pour suivre cette affaire. » Wickham n’avait pas de certitudes plus prononcées. La dépense, il la faisait à l’instigation de Fauche-Borel, toujours habile à le duper, en expliquant à sa façon ce qu’il y avait de contradictoire entre la conduite militaire de Pichegru et les engagemens qu’on lui attribuait. Pichegru combattait, et tous ses actes étaient justement le contraire de ce qu’attendait Condé et de ce qu’on avait annoncé aux Autrichiens. Il n’était plus question maintenant des promesses et des plans du mois d’août, si pompeusement exposés par Fauche-Borel ; on n’en parlait plus ; on ne pouvait rien espérer que du temps et des circonstances. Tout l’art des

  1. on le surprend à tout instant en flagrant délit d’invention et en contradiction avec lui-même. C’est ainsi que dans le Résumé écrit pour Condé, il dit : « Sept voyages que j’avais faits dans le courant de juillet, août et septembre dans l’Alsace, soit seul, soit avec Courant, pour voir Pichegru avaient excité à Bâle la surveillance de Bacher, qui nous avait regardés comme des émissaires d’émigrés. » Dans ses Mémoires imprimés où, avant de raconter son arrestation à Strasbourg en décembre, il veut établir que Montgaillard l’a dénoncé, il dit tout le contraire : « Sept voyages que j’avais faits, etc., etc., n’avaient donné lieu à aucun soupçon, ni à aucun accident fâcheux. » De même, en racontant cette arrestation, il prétend qu’averti par Badouville, Pichegru vint de son quartier général pour le faire remettre en liberté. Mais il est ensuite obligé de reconnaître qu’il avait été relâché, lorsque Pichegru arriva à Strasbourg. Du reste, il est bien piquant de constater ce que pensa Condé de cette aventure dont Fauche-Borel fait état à son profit et dont il a exagéré toutes les circonstances : « Notre affaire n’est pour rien dans son arrestation, écrit Condé le 27 décembre, et il n’y a rien à craindre pour les papiers, mais, peut-être, pour les lettres de change et l’argent. »