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retiré aussi, ce qui changeait joliment la chance. A présent, me voici dans l’impossibilité de faire aucun mouvement ni en avant ni en arrière, le peu de chevaux qui nous restaient ayant été tués dans les deux batailles et trois affaires que nous avons soutenues de la Pfrimm jusqu’ici ou ayant péri des fatigues de la retraite. Je suis décidé à attendre l’ennemi dans les lignes et à y faire la plus opiniâtre résistance, s’il veut nous en chasser. »

Au cours de ces incidens, Mannheim capitule le 20 novembre et Montaigu se rend à Wurmser. Comment il y a été contraint, c’est lui-même qui nous le dit dans le rapport qu’il adresse à son général en chef. L’état dans lequel se trouvait la place ne lui permettait plus de différer. Deux poternes ont sauté, ouvrant une brèche de quatre-vingts pieds de large. Plus de cent maisons ont été brûlées ou se sont écroulées. Il n’en est pas une qui ne soit endommagée. On ne savait plus où mettre les blessés et les malades, qu’il a fallu enlever en hâte de l’hôpital sur lequel tombaient les obus. Deux casernes étaient incendiées et les troupes n’avaient d’autre abri que les ruines du château. Sur les bastions, les pièces avaient été démontées. « J’avais reçu trois sommations ; le désespoir des habitans se manifestait de la manière la plus sensible. J’ai fait, général, tout ce que mon devoir et l’honneur m’ont prescrit. Ma conscience est à l’abri du remords[1]. »

Ce sincère exposé des événemens ne prouve-t-il pas jusqu’à la dernière évidence que Pichegru a fait, lui aussi, ce que le devoir et l’honneur lui prescrivaient, qu’il n’a pas voulu livrer Mannheim, qu’il ne l’a pas livré, et que cette place a succombé sous des forces supérieures, par suite des revers successifs des armées du Rhin et faute de secours ? Tout cela est si clair qu’on ne peut n’être pas étonné de la légèreté avec laquelle, sans vérification et sans contrôle, les historiens ont ultérieurement fait écho aux calomnies intéressées de Montgaillard et de Fauche-Borel. Gouvion-Saint-Cyr a été plus juste, lorsqu’il démontre combien étaient déplorables les plans imposés par le Comité de Salut public à Jourdan et à Pichegru, et quelle faute impardonnable commit le gouvernement « en constituant la guerre sur une ligne trop

  1. Prisonnier avec la garnison de Mannheim, le général Montaigu, à sa rentrée en France, eut à répondre devant un conseil de guerre de la capitulation qu’il avait signée. Le 25 octobre 1798, il fut acquitté à l’unanimité. Il servit encore jusqu’en 1811.