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laissait ses armées. Cette explication me parait si naturelle qu’elle dispense de recourir à des suppositions telles que la trahison de Pichegru, qui, je le crois du moins, n’eut lieu que plus tard. » N’empêche qu’à cette date du 13 novembre, l’armée de Rhin-et-Moselle, chassée des abords de Mannheim, ne pouvait plus défendre cette place, et qu’à dix jours de là, la garnison qu’y avait laissée Pichegru allait être obligée de capituler.


II

Entre tant de griefs imputés à Pichegru, il n’en est pas que ses accusateurs aient plus ardemment exploités contre lui que cette capitulation de Mannheim. Elle est leur grand cheval de bataille ; elle constitue à leurs yeux la preuve inéluctable de la trahison. Voici comment l’un d’eux résume l’opinion générale dans un de ces dictionnaires encyclopédiques destinés à venir en aide à l’ignorance des gens qui cherchent à se faire à peu de frais une érudition superficielle : « Pichegru opéra sa retraite sans être inquiété, abandonnant de propos délibéré dans Mannheim un corps de 9 000 Français, qui, investis dans une ville mal fortifiée par toute une armée victorieuse, trouvèrent là une mort glorieuse, mais inutile à la patrie. »

Autant d’erreurs que de mots. On a vu que la retraite de Pichegru fut, au contraire, terriblement inquiétée. Ce ne fut pas de propos délibéré qu’il laissa une garnison dans Mannheim, mais sur l’ordre formel du Comité de salut public. Cette garnison n’y trouva pas une mort glorieuse, puisqu’elle capitula après onze jours de siège. La vérité, c’est qu’ici encore, les accusateurs ont pris à la lettre et accepté, sans les contrôler, les mensonges de Montgaillard et de Fauche-Borel. « Le général Pichegru, raconte Montgaillard, chargea Fauche-Borel de dire au prince de Condé qu’il avait laissé à Mannheim, pour défendre la place, 9 à 10 000 hommes, tout ce qu’il avait de plus mauvais dans non armée ; qu’il espérait qu’il en reviendrait peu et que les Autrichiens en feraient bon compte ; qu’il avait donné le commandement au général Montaigu, officier sans talens et qu’il regardait comme hors d’état de soutenir longtemps le siège. »

Fauche-Borel, dans ses Mémoires, imprimés oppose à ce récit un démenti formel et indigné : « C’est une fausseté insigne. Je n’ai jamais dit ou écrit pareille chose au nom du général Pichegru.