Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

constances, et j’en référerai d’ailleurs à votre collègue Rivaud, ainsi qu’aux avis et conseils des généraux de l’armée. »

On voit de quels désastres la retraite de Jourdan d’une rive à l’autre du Rhin avait été et menaçait d’être encore la cause. Cette retraite, ses défenseurs et lui-même ont affecté d’en rejeter la responsabilité sur Pichegru. Mais ce n’est là qu’un écho de ce qui se disait au quartier général de Jourdan, où l’on ne voulait pas admettre qu’il eût été battu par sa faute et où quelques plaintes s’élevaient déjà contre l’armée de Rhin-et-Moselle. Le représentant Garreau en entretenait le Comité de Salut public. « Il ne règne pas beaucoup d’harmonie entre les deux armées. Il semble que les chefs se jalousent les uns les autres. On reproche à Pichegru de n’avoir pas fait tout ce qu’il pouvait faire pour favoriser Jourdan sur le Mein. On crie aussi contre Merlin de Thionville. » On reconnaîtra dans ces dires les effets de ces rivalités entre commandans d’armée dont les exemples, en ces époques de guerre, reviennent à tout instant. Au cours de ces rivalités, les conventionnels en mission prenaient volontiers parti. Garreau était auprès de Jourdan, Merlin de Thionville et Rivaud auprès de Pichegru. Chacun deux soutenait son général. Dans l’espèce, contre les insinuations que laissait percer Garreau s’élèvent des témoignages irrécusables.

C’est d’abord ce qu’on sait des susceptibilités de Jourdan, que Barras, ainsi qu’on l’a déjà vu, révèle dans ses Mémoires, à propos d’un incident analogue, qui survint l’armée suivante entre Jourdan et Moreau, lorsque celui-ci eut succédé à Pichegru dans le commandement de l’armée de Rhin-et-Moselle. « Jourdan n’a plus là Pichegru pour l’accuser de ses revers ; il accuse Moreau. Joubert, qui a été commissaire du gouvernement près l’armée de Sambre-et-Meuse, appelé par le Directoire à prononcer, déclare que, dans la retraite, Jourdan n’a pas conservé sa fermeté et a presque perdu la tête. Il ne se tient plus à cheval depuis qu’il n’a plus en croupe la terreur du Comité de Salut public. » C’est ensuite la correspondance de Pichegru, où sont abondamment exposées les causes qui l’empêchèrent de seconder le glorieux, mais imprudent passage du Rhin, exécuté par Jourdan, le 7 septembre, avec plus de précipitation et de témérité que de prévoyance du lendemain, comme s’il craignait de se laisser devancer par son camarade. Ce sont enfin les explications que fournit Jourdan lui-même à Moreau, qui commande alors l’armée du