Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sais ce qui peut l’avoir entretenu dans sa sécurité ou trompé sur notre position. Mais elle est environnée d’abîmes. »

La suite de la guerre n’allait que trop promptement démontrer l’exactitude de ces prévisions. Condamné par l’insuffisance de ses effectifs à rester sur la défensive, Pichegru ne cesse de réclamer des secours et de dresser le tableau des risques auxquels il est exposé. Ses lettres au Comité de Salut public se succèdent de plus en plus alarmantes. On lui a demandé de retarder la marche de l’ennemi, « sans toutefois livrer bataille, » jusqu’à ce que Jourdan soit en mesure d’attaquer ledit ennemi sur ses derrières, tandis que lui-même lui fera face. Mais comment arrêterait-il une armée plusieurs fois supérieure à la sienne ? On voudrait aussi qu’il s’occupât exclusivement d’une diversion sur le haut Rhin. Mais par quels moyens la rendrait-il forte et puissante, « ne pouvant déplacer une troupe des environs de Mannheim avant l’arrivée de celles de Sambre-et-Meuse, » qui continuent à ne pas paraître ?

Le 29 octobre, la situation subitement se complique. Les Autrichiens, qui, la veille, sont parvenus à jeter dans Mayence par la rive droite plusieurs milliers d’hommes, font, sous les ordres de Clairfayt, une sortie sur la rive gauche. En une matinée, ils mettent en déroute l’armée assiégeante, s’emparent des retranchemens qu’elle a élevés, de cent trente-huit canons qui les défendent ; ils font dix-sept cents prisonniers et obligent les Français à s’enfuir. Pichegru accourt du haut Rhin avec des renforts, reconquiert une partie du terrain perdu, prend position derrière la Pfrimm. Il s’y fortifie, appuyé à Worms, et supplie Jourdan de venir défendre la Nahe, qui est à découvert. Mais, au même-moment, son armée est attaquée à Mannheim. Rien qu’elle se batte durant toute la nuit, elle ne peut empocher la tête de pont du Necker d’être emportée par les Autrichiens, qui la gardent durant quelques heures et à qui l’arrache enfin un héroïque effort de nos soldats. « Il en a coûté du monde à l’ennemi. Mais, en recommençant aussi souvent des attaques aussi vives, il aurait bientôt réduit par la fatigue nos troupes déjà harassées. Les approvisionnemens sont très incomplets, et, si l’armée se trouvait forcée sur la Pfrimm et obligée de se retirer derrière la Spirebach, la garnison de Mannheim se trouverait obligée bientôt de capituler et n’obtiendrait pas sans doute de venir rejoindre l’armée. J’adopterai le parti que me paraîtront exiger les