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d’enseigner est si profondément entrée dans nos mœurs qu’il est devenu impossible de la supprimer. Quand même la loi serait votée telle quelle, et quand même elle serait appliquée avec la dernière rigueur, la liberté d’enseigner subirait sans doute une crise dans la personne de la plupart de ceux qui en usent, mais elle ne périrait pas, et les établissemens libres, ceux d’aujourd’hui ou d’autres qui ne manqueraient pas de se former, ne perdraient pas un seul élève. Probablement même, sous le coup de la persécution, en auraient-ils davantage.

Alors, à quoi aura servi la loi ? Comme l’a encore dit M. Ribot, cette loi brutale, mais inapplicable, est un simple cri de guerre que le gouvernement a jeté dans le pays. Il a voulu par-là grouper tous ses amis, radicaux et socialistes de toutes nuances, d’ailleurs divisés à tant d’égards, mais facilement émus par une haine commune contre l’Église catholique, et les entraîner, au besoin les compromettre sans retour dans une action violente où ils oublieront peut-être d’autres revendications qui, naguère encore, paraissaient leur tenir plus au cœur. Nous ne savons pas si on obtiendra par-là plus d’union, ou plutôt si on réalisera une parfaite unité d’esprit dans les générations futures, et, à dire vrai, nous n’en croyons rien. Quant à la génération présente, on y aura sûrement jeté des brandons de discorde et de haine qui viendront s’ajouter à quelques autres. Le parti républicain sera coupé en deux plus irrémédiablement que jamais, et, ce qui est pis, la France le sera comme lui. Est-ce là ce qu’on a voulu ? Oui, sans aucun doute. On a trouvé qu’il y avait trop de concorde et d’union dans le pays, et que le parti républicain, le vrai, le pur, le seul, risquait d’y perdre quelque chose de sa sève amère et de son énergie hargneuse. De ce sentiment est sorti le projet de loi. Mais, demandera-t-on, la Chambre le votera-t-elle ? Oui. Le Sénat le votera-t-il ? Oui. Le gouvernement l’appliquera-t-il ? Oui, dans la mesure où il le pourra et assez, en tout cas, pour produire un trouble profond. Pendant ce temps-là, nos autres affaires iront comme elles pourront. On s’en occupera moins, tant sera vif et piquant l’intérêt de la lutte engagée contre quelques congréganistes des deux sexes. Malheureusement pour nous, les autres nations s’appliquent à des intérêts plus grands : mais chacun mesure à sa taille la besogne qu’il s’assigne, et le gouvernement actuel n’a pas manqué à cet instinct des proportions. Il n’a oublié que la grandeur de la France.


Nous dirons aujourd’hui peu de chose de l’étranger, parce que, dans les différens pays qui appellent l’attention, il y a, comme en