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Qu’on reprenne, en effet, les définitions que tente Fromentin de ce qu’il y a d’original dans l’art de Memling : elles répondent mot pour mot aux caractères essentiels de l’art de Cologne, tel qu’il a été depuis le milieu du XIVe siècle, mais tel surtout qu’il était dans la première moitié du siècle suivant, au moment où le jeune Memling travaillait dans quelqu’un des nombreux ateliers de la ville allemande. Cinquante ans avant Memling, l’admirable Lochner, le Fra Angelico allemand, avait donné à ses Vierges « toutes les délicatesses adorables de la chasteté et de la pudeur. » Il avait représenté « de jolies femmes avec des airs de saintes, de beaux fronts honnêtes, des tempes limpides, une béatitude, une douceur tranquille, » et cette « extase en dedans » qui est même, chez lui, infiniment plus profonde que chez le peintre brugeois. Il avait, lui aussi, « peint des âmes charmantes en peignant de beaux visages de femmes. » Et, après lui, les peintres de Cologne avaient eu beau emprunter aux Flamands des procédés nouveaux, ils avaient eu beau allonger les visages de leurs Vierges et leur donner pour cadres des paysages réels, l’inspiration de leurs œuvres restait toute différente de celle qui animait l’œuvre des van der Goes et des Pierre Christus. Jusqu’à la fin de l’école de Cologne, les peintres rhénans ont continué à, « transfigurer ce qu’ils copiaient, » à « rêver en regardant la nature, » à « choisir dans les formes humaines ce qu’ils y voyaient de plus aimable et de plus délicat. »

C’est aussi ce qu’a fait Hans Memling, qui était l’un d’entre eux[1]. Mais, étant plus habile, il l’a fait avec plus une maîtrise technique supérieure : et puis, demeurant à Bruges, c’est dans la langue des peintres flamands qu’il a traduit ses visions et ses émotions. En associant aux formes des van Eyck les sentimens de Lochner, il a renouvelé la peinture flamande. Et la transformation qu’il lui a fait subir ne nous a point seulement valu les beaux tableaux de Bruges, de Munich,

  1. De même que les peintres de Cologne, Memling pousse son goût d’idéalisation jusqu’à idéaliser, dans ses tableaux religieux, les portraits des donateurs. On peut voir au Musée de Bruxelles et à l’hôpital Saint-Jean les trois portraits, — évidemment peints d’après nature, — du maître-épicier Moreel, de sa femme, et de sa fille. Ces trois personnages se retrouvent, en compagnie de saints, sur les deux volets du triptyque de l’Académie de Bruges : mais leurs visages, aisément reconnaissables encore, y ont perdu quelques-uns de leurs traits caractéristiques. Ils sont comme adoucis, épurés, déshumanisés. Et le fait est que, nulle part autant que chez Memling, les portraits des donateurs ne s’harmonisent avec les sujets religieux : ses bourgeois et bourgeoises agenouillés aux pieds de Marie semblent porter, sur leurs visages, le délicieux reflet d’une présence divine.