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mondain où ils doivent avoir vécu : on nous raconte les guerres de Bourgogne, les débuts de la Réforme en Allemagne, le faste de Versailles ou du Palais-Royal ; et l’on omet de nous introduire dans le milieu artistique, professionnel, de ces maîtres, qui est pourtant le soûl que nous aurions besoin de connaître. De même fait M. Weale, dans son étude sur Memling. Il nous présente l’auteur de la Châsse de Sainte Ursule tout à fait en dehors du mouvement général de la peinture flamande, se bornant à le comparer une ou deux fois avec Jean van Eyck, qui était mort trente ans avant l’arrivée de Memling à Bruges. Frappé sans doute de l’incontestable supériorité de Memling sur ses prédécesseurs et ses successeurs immédiats, sur les Rogier van der Weyden et les Gérard David, il juge inutile de rechercher les liens qui, cependant, ne peuvent manquer de l’avoir uni aux uns et aux autres. Et par là, quelque effort qu’il tente pour nous définir le génie de Memling, il risque de nous donner de ce génie une idée à la fois trop confuse et trop incomplète : il risque de nous faire apparaître comme une aimable et brillante exception un homme dont la vraie grandeur est, au contraire, dans la façon dont il a continué, modifié, transformé l’art du pays où il a vécu.


Pour bien comprendre toute la grandeur de Memling et toute l’importance du rôle qu’il a joué, ce n’est pas assez de le comparer avec Jean van Eyck. Celui-ci est un merveilleux ouvrier, le plus habile peut-être qu’ait jamais produit la pointure flamande. On sent qu’il ne peint que pour le plaisir de peindre, et que, avec une vision naturelle d’une finesse et d’une justesse étonnantes, il est encore comme enivré des ressources que lui offrent les procédés nouveaux de la peinture à l’huile. Mais il meurt en 1440, et après lui viennent d’autres maîtres, les Rogier van der Weyden, les Hugo van der Goes, les Thierry Bouts, qui, tout en continuant son naturalisme, font entrer la peinture flamande dans des voies déjà bien différentes de la voie calme et un peu étroite où il l’a laissée. Ceux-là se rappellent déjà qu’ils ont à peindre des sujets religieux : et, pour les bien peindre, ils s’efforcent d’y mettre la plus grande somme possible de mouvement, de vie, d’émotion tragique. Ainsi Rogier van der Weyden (mort en 1464) prête à ses Vierges des expressions douloureuses et désespérées : ainsi il nous représente les disciples s’abîmant en sanglots au pied de la croix, ou bien encore il s’efforce de traduire l’agitation amenée dans la Sainte Crèche par l’arrivée des Mages avec leurs présens. Ainsi Hugo van der Goes, dans la seule œuvre authentique que nous possédions de lui (peinte à peu