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siècles n’avait remarquées, elle découvre solennellement des Durer, des Léonard, des Rembrandt et des Velasquez. C’est elle qui, au cours des années qui ont suivi la proclamation de l’empire allemand, a en quelque sorte « créé de rien » le Musée de Berlin, en a fait un des musées les plus complets de l’Europe, un musée où se trouvent présens, tout au moins sur le catalogue, tous les maîtres de tous les pays. Je me souviens d’avoir naguère assisté à une des opérations les plus hardies de cette école : l’attribution en bloc à Donatello de toute une série d’œuvres dont le style n’avait absolument rien de commun avec le style ordinaire du sculpteur florentin, mais qui, à en croire M. Bode, n’en représentaient pas moins une des phases capitales de l’évolution de son génie. Et Memling figure au premier rang des « riches » à qui l’école allemande a le plus prêté.

A la trentaine d’œuvres authentiques que nous possédons de lui elle en a joint plus de cinquante autres, sans qu’on puisse même deviner ce qui a pu la conduire à ces attributions. Elle a découvert, par exemple, à Dantzig, un Memling plus grand encore que celui de Lubeck, un immense Jugement dernier où je ne crois pas qu’il y ait une seule figure qui n’ait la laideur caractéristique des figures des Thierry Bouts et des Ouwater. A Berlin et à Londres, à Bruxelles et à Madrid, cette généreuse école a enrichi, de la façon la plus imprévue, l’œuvre de Memling ; au Louvre même, où cependant ne manquaient point les Memling authentiques, elle n’a point trouvé leur nombre suffisant ; et nous avons vu avec stupeur, tout récemment, le nom de Memling substitué à la vieille désignation « École flamande, » sous un triptyque d’un dessin et d’une couleur tout à fait médiocres, et remarquable surtout par une extraordinaire réunion de nez épatés. Mais, si les néo-Memling ont ainsi surgi en foule dans les musées, ai-je besoin de dire que leur éclosion a été infiniment plus riche encore dans les collections particulières ? Une biographie allemande de Memling, publiée à Leipzig en 1899, nous offre la reproduction de près de quatre-vingts tableaux attribués, par l’auteur, au vieux peintre brugeois : c’est trop de plus de moitié, au jugement de M Weale, et le fait est que quelques-uns de ces soi-disant Memling, si on les tenait pour authentiques, suffiraient non seulement à bouleverser toutes nos idées sur le style de leur auteur, mais à nous mettre en défiance de son génie même.

Aussi tous les admirateurs de Memling ne sauraient-ils assez remercier M. Weale de la peine qu’il a prise pour examiner et refuser une à une, au nom du maître, les plus autorisées de ces donations. Grâce à lui, le génie du vieux peintre nous apparaît de nouveau dans toute sa