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d’ailleurs amplement rachetés par son repentir. Et, comme on sait aujourd’hui que tout cela, non seulement n’est pas vrai, mais se trouve être, par hasard, tout à fait à l’inverse de la vérité, historiens et critiques se croient désormais tenus, pour peu qu’ils aient à parler de Memling, de protester en termes pleins d’amertume contre la fable inventée jadis par l’ingénieux Descamps.

Seul Fromentin ne peut se décider à partager leur indignation. « Malheureusement, dit-il (et quel dommage ! ), ce joli roman n’est qu’une légende à laquelle il faut renoncer. D’après l’histoire véridique, Memling serait tout simplement un bourgeois de Bruges, qui faisait de la peinture comme tant d’autres, l’avait apprise à Bruxelles, la pratiquait en 1472, vivait rue Saint-Georges, — et non point à l’hôpital Saint-Jean, — en propriétaire aisé, et mourut en 1495. De ses voyages en Italie, de son séjour en Espagne, de sa mort et de sa sépulture au couvent de Miraflorès, qu’y a-t-il de vrai ou de faux ? Du moment que la fleur de la légende a disparu, autant vaut que le reste suive ! »

Oui, c’est grand dommage que cette légende se soit désormais effondrée ; et je me sens d’autant moins le courage de protester contre elle que je la soupçonne d’avoir rendu plus de service à la gloire de Memling que ne pourront le faire toutes les découvertes de « l’histoire véridique. » Si Bruges attire depuis un siècle tous les pèlerins de l’art, si elle leur apparaît comme une sorte d’Assise ou de Sienne flamande, peut-être le doit-elle moins à ses vieilles églises et à ses vieilles maisons, au silence de ses rues et de ses canaux, qu’à cette petite salle de l’hôpital Saint-Jean où, dans un décor d’une style gothique assez malencontreux, sommeillent la Châsse de Sainte Ursule et les Vierges de Memling. La « fleur de la légende » a disparu : mais son parfum lui survit, et cette petite salle en est tout imprégnée. Nous y retrouvons malgré nous le pauvre soldat de Granson et de Nancy ; nous croyons le voir, vêtu de sa longue blouse de malade et le bonnet sur la tête, le voir s’ingéniant à ses naïves peintures pour remercier les bons frères qui l’ont recueilli. Aussi bien les gardiens de l’hôpital continuent-ils à raconter aux visiteurs la fable de Memling, sachant par expérience combien elle aide avoir, — sinon à comprendre, — l’œuvre du vieux maître. Ils montrent également le portrait de Memling, — une tête d’homme barbu et coiffé d’un bonnet, dans un des coins de l’Adoration des Mages ; — et les visiteurs ont beau songer que, cent ans auparavant, c’était un autre personnage du même tableau qui passait pour être le portrait du peintre ; ils ont beau se rappeler qu’à Munich et à Londres, on leur a montré, dans d’autres tableaux, d’autres