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de faire résider l’invention dans le choix, il l’entendra au sens le plus vulgaire du mot, comme une faculté de trouver des combinaisons de faits extraordinaires. Son respect de l’histoire l’abandonnera ; et, le goût du romanesque profitant de tout ce que perd le sens historique, c’est, depuis Don Sanche, le romanesque qui de nouveau va triompher. Enfin, l’histoire même dont Corneille explore les parties les plus obscures ne lui servira plus qu’à trouver les situations les plus bizarres et lui sera un moyen d’autoriser les extravagances mêmes de son imagination.

Ainsi reparaîtront tous les défauts de la Comedia espagnole, renforcés de quelques autres. L’amour, que Corneille estime trop chargé de faiblesse pour être la dominante dans une pièce héroïque et qu’il sacrifie à l’ambition, cesse d’être une passion digne d’être étudiée en elle-même et capable de fournir le conflit des sentimens. La volonté orgueilleuse, guindée et figée dans son attitude, devient une forme vide ou une odieuse parade tout de même que le pundonor. La recherche des situations forcées et rares, se combinant avec la tyrannie des règles, fait un drame plus étriqué, mais aussi absurde. Le spectacle de la vie, faussé par la vision cornélienne, devient aussi exceptionnel et factice que pouvait l’être un drame modelé sur les mœurs particulières de l’Espagne. La tragédie retombe dans toutes les erreurs dont Corneille l’avait dégagée. La Comedia espagnole apparaît ainsi comme la limite au-dessus de laquelle la tragédie doit s’élever pour être elle-même.

Si la Comedia nous intéresse surtout dans ses rapports avec la tragédie, il s’en faut qu’elle ait été sans influence sur notre comédie. En effet, la séparation des genres n’existe pas en Espagne, et ici c’est plutôt leur confusion ou mieux encore leur opposition violente et leur contraste qui est dans le goût national. L’Espagne s’est peinte aussi fidèlement dans le roman picaresque que dans la nouvelle héroïque, et, si de l’un à l’autre genre le lien échappe, leur parenté n’en est pas moins certaine. Don Quichotte et Sancho Pança sont inséparables, et le rôle du gracioso fait partie intégrante de la Comedia. L’imitation, ici, ne pouvait guère être que fâcheuse et elle l’a été de plus d’une manière. Si le Menteur est une charmante comédie, encore n’est-ce qu’une comédie d’intrigue, et qui n’a pu servir de modèle à Molière que pour son Étourdi, non pour son Misanthrope. Ce qui vient directement de l’Espagne, c’est le burlesque. Nous y étions déjà préparés par la fortune qu’avait faite en France le roman picaresque. Le genre va s’implanter au théâtre avec Scarron et son Jodelet. La postérité de Jodelet ne sera