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les façons de sentir et de penser. C’est alors ce qu’on pourrait appeler le second moment de la pénétration espagnole en France. Et cette fois c’est la « Comedia » qui fait chez nous son entrée.

Qu’est-ce, en Espagne, que la « Comedia, » c’est-à-dire ; le drame ? Elle nous offre le très curieux et très frappant exemple d’un genre dont la valeur et l’insuffisance viennent pareillement de son extrême originalité. Notez d’abord que, de toutes les nations modernes, l’Espagne est seule avec la France à avoir un théâtre. L’œuvre de Shakspeare est en Angleterre une exception géniale et qui reste isolée. Le drame existait en Espagne avant Lope de Vega, et il a conservé, jusqu’aujourd’hui, ses caractères essentiels : c’est cette continuité de production qui constitue « un théâtre. » Notez encore que ce théâtre est plus complètement original que le nôtre. Nous avons pris à l’antiquité la plupart des sujets de nos tragédies, et nous n’avons pas su mettre à la scène les grandes figures de notre histoire et nos gloires nationales. La « Comedia » puise dans les annales de l’Espagne, comme d’ailleurs à toutes les sources : elle représente au vif les mœurs de la société et elle en traduit les aspirations ; elle répond, non pas seulement aux exigences d’une élite, mais aux désirs du public tout entier : c’est le drame né sur le sol et jailli spontanément des entrailles d’un peuple. Une race s’y exprime et y accuse ses traits distinctifs en un puissant relief. Voilà ce qui fait sa grandeur et sa force. — Mais, d’autre part, son histoire nous fait assister à un phénomène bien digne d’être noté. Ce théâtre, si espagnol, n’arrive pas à sortir d’Espagne. Ses œuvres ne se font pas lire en dehors de leur pays d’origine. Tandis que les romans, ceux de Cervantes, de Quevedo et de vingt autres, sont traduits et se répandent en Europe, il n’en est pas de même des pièces de théâtre. Elles n’entrent pas dans le domaine de la littérature universelle. M. Morel Fatio a mis ce point en pleine lumière dans sa remarquable étude sur la Comedia au XVIIe siècle. « Il faut tout dire en un mot. La Comedia, œuvre grande tant qu’on la considère en soi et ne la sort pas de son milieu, perd singulièrement de son importance, sitôt qu’on l’introduit dans l’enceinte de la littérature générale et qu’on la compare à d’autres productions du même ordre. Quel genre d’intérêt excite aujourd’hui, chez les lettrés français, anglais, allemands ou italiens, le théâtre espagnol du XVIIe siècle ? Un intérêt de curiosité, rien de plus… Même à l’époque de sa plus grande splendeur, la Comedia n’a jamais été acceptée et imitée comme l’a été pendant un siècle la tragédie française : on n’y a vu qu’un répertoire de situations… En franchissant les Pyrénées, ce