Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/892

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1795, adressée à Condé par ce colonel baron de Vincent qu’en 1797, le ministre autrichien Thugut enverra au camp des alliés dans l’espoir que, de là, il parviendra à nouer des liaisons avec Moreau. Vincent est, paraît-il, l’homme de ces besognes ingrates. C’est lui qu’on met en chasse, quand on a besoin d’un traître ou d’un renégat. Venu au camp de Pichegru au moment de la conclusion de l’armistice proposé par Kray et consenti par les généraux français, il rend compte en ces termes d’un incident auquel donna lieu sa visite : « Quoique, lors de mon entrevue avec Pichegru, je ne l’aie vu que quelques instans, je suis parvenu à lui montrer l’écrit de Votre Altesse lui marquant qu’il peut avoir confiance en moi… Il m’a répondu : — Pour le moment, la chose est impossible. Le prince de Condé sait la manière dont je pense, que je suis disposé à tout faire pour lui. Mais je n’ai personne à qui je puisse me fier. Mon armée n’est pas à la hauteur des circonstances dans le bon sens. Il faut attendre tout du temps. »

Cette lettre ne permet pas de douter qu’il y ait eu des relations antérieures entre Condé et Pichegru ; et, comme ce n’est assurément pas le prince qui les a suivies personnellement et directement. il faut bien en conclure qu’au mois d’août précédent, Pichegru a reçu une lettre de lui, que lui ont remise les émissaires ou qu’ils lui ont fait parvenir par Badouville. Le fait n’est pas niable, et c’est en vain qu’on voudrait dégager de ce souvenir la mémoire de Pichegru. La question, dès lors, n’est pas de savoir s’il a vu les émissaires, ni par quelle voie, dans le cas contraire, il a reçu leurs propositions, mais pourquoi, étant prouvé qu’il n’en a tenu aucun compte, il n’a pas coupé court à ces rapports compromettons. A cette question on ne peut répondre que par des hypothèses. Toutes sont permises, même celle qui conclut de l’attitude de Pichegru qu’il s’est emparé de la démarche de Condé et des visites de Fauche-Borel, qui était bien homme à jouer double et même triple jeu, comme d’un moyen de connaître les projets des émigrés, leurs moyens d’action et les plans des Autrichiens. Mais, quelque admissible que soit celle-ci, il en est de plus vraisemblables.

A l’heure où Condé s’adressait à lui, Pichegru, comme tous les hommes prévoyans, ne pouvait n’être pas pénétré des innombrables périls auxquels l’impéritie des gouvernans, la guerre civile déchaînée, le désarroi des esprits, la désorganisation générale et les incertitudes quant à l’avenir exposaient la France. La