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lui-même et en chef le projet dont on aura convenu les dispositions ; il commandera sous le Roi, les princes et les gentilshommes français ; les deux armées se confondront ensemble et ne feront qu’un seul et même corps ; c’est dans des embrassemens mutuels que des Français divisés d’opinion, mais aimant tous leur pairie, oublieront les dissensions qui ont fait couler si longtemps le sang français.

« Si les propositions susdites sont acceptées par le général, ainsi que son honneur, sa grandeur d’âme et son amour pour la patrie ne permettent pas d’en douter, le général communiquera, le plus promptement possible, les dispositions qu’il jugera à propos de prendre. Les personnes qu’il enverra à Basic y trouveront toutes les sûretés, garanties et pleins pouvoirs nécessaires. »

Telles sont les pièces que Fauche-Borel a été chargé de mettre sous les yeux de Pichegru dans l’entrevue du 20 août. Mais les lui a-t-il remises, et l’a-t-il même vu ce jour-là ? Dans ses Mémoires imprimés, il déclare n’avoir donné au général que le billet du prince de Condé. Quant à la lettre de Montgaillard et aux promesses, il affirme les avoir laissées à Bâle. Elles formaient un paquet volumineux, et il fait remarquer que, les voyageurs étant fouillés à leur entrée en Alsace, le transport de ces papiers l’eût exposé aux plus pressans périls. Il jugeait en outre que, sous la forme que lui avait donnée Montgaillard, l’offre était par trop grossière ; elle eût offensé Pichegru. Il n’a donc emporté que le billet du prince, cousu dans la manche de son habit, sous l’aisselle. Il le dit ; mais dit-il la vérité ? Une lettre adressée à Montgaillard et où il déclare avoir remis au général « la lettre de Monsieur le Comte. », — Montgaillard se prétendait comte, — lui donne un démenti. Il ment dans cette lettre ou il ment dans ses Mémoires. En tous cas, il n’est fait mention nulle part d’une réponse quelconque de Pichegru à ces offres mirifiques.

Fauche-Borel est-il plus sincère quand il déclare avoir vu Pichegru ? Un document découvert au dépôt du Record Office[1] permet d’en douter. C’est une quittance signée Badouville. « J’ai reçu de Courant et de Fauche la somme de dix louis pour objets remis le 20 août : — Badouville. » Quels peuvent être ces

  1. Cité par un jeune professeur, M. Caudrillier, dans un remarquable Essai sur l’affaire de Pichegru, qu’il avait prise comme sujet du thèse.