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D’autres acteurs ne tarderont pas à y prendre un rôle : Chambé, homme de loi, élu plus tard député aux Cinq-Cents, le comte de Beaufort, ami de Montgaillard, le général Lajolais, Saint-Rémond, officier supérieur de gendarmerie, le major Thugnot[1] et, au premier rang de ces comparses, le chef de brigade Badouville, dont les papiers, retrouvés au ministère de la guerre et aux Archives nationales, révèlent les vices et la bassesse d’âme, et dont la conduite, la vénalité, les imprudences ont tant contribué à compromettre Pichegru, qui, trompé par sa bravoure au feu, a eu le tort de l’admettre dans son état-major. Des ennemis de la France, tels que Wickham et Crawfurd ; des hommes sans moralité, tels que Montgaillard et Badouville ; des besogneux, tels que la baronne de Reich, Fauche-Borel, Demougé qui finira espion de la police impériale à Strasbourg, voilà en quelles mains va tomber l’honneur de Pichegru. Ce n’est pas pour exciter la compassion en sa faveur qu’il convient de le constater, mais pour mettre le lecteur à même de juger quelle confiance peut être accordée à des dires visiblement intéressés et que dément toute sa conduite militaire.

Quant aux indiscrétions dont bientôt se plaindra Condé, bien que la responsabilité en revienne surtout à lui, à ses émissaires, aux émigrés qui l’entourent, il y eu eut de commises, on ne sait par qui, dès le début de la d’aire. Le 2 septembre, un sieur d’Egrr, conseiller aulique, résidant à Rastadt, agent secret du prince, lui offrait à l’impromptu ses services à l’effet d’arriver à Pichegru, ce qui prouve ou que l’idée de séduire ce général hantait déjà d’autres cervelles que celle de Condé ou que le bruit de la démarche tentée auprès de lui s’était vite répandu. Condé tomba de son haut. Dans sa réponse, il laissa voir qu’il soupçonnait son agent d’avoir abusé d’un secret que le hasard lui avait livré.

D’Egrr protesta. C’était le général Wurmser, affirma-t-il, qui lui avait parlé des moyens de gagner Pichegru, se disant autorisé à lui offrir, s’il voulait passer avec son armée dans le parti du roi, le cordon rouge et le grade de lieutenant général.

  1. Ces noms nous sont fournis par les pièces de l’instruction judiciaire qui s’ouvrit à Strasbourg au lendemain du 18 fructidor. Elle ne jette d’ailleurs aucune lumière sur les actes reprochés à Pichegru, déjà déporté. Tous les inculpés nièrent énergiquement, et le système leur réussit. Le Conseil de guerre les acquitta, ce qui n’empêcha pas, sous la Restauration, ceux qui étaient encore vivans d’invoquer, comme titre à la faveur royale, les faits qu’ils avaient niés.