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l’inspection générale de la librairie, et du cordon de l’Ordre de Saint-Michel. Dans le cas où ses démarches ne seraient pas suivies d’effet, une indemnité de mille louis lui serait comptée. On en promit une égale à Antoine Courant, le collaborateur qui lui fut imposé et qui, moins exigeant que lui, s’en contenta. Enfin, au moment de se mettre en route, ils devaient, de son aveu, toucher trois cents louis pour couvrir leurs premières dépenses[1].

Dès ce moment, d’ailleurs, son effort tendra à écarter Courant de la négociation afin de s’en réserver tout l’honneur. « Ses traits fortement prononcés, dit-il, trop durs peut-être, ne répondaient pas assez de sa part à ce qu’une pareille mission exigeait de convenance et de délicatesse[2]. » En fait, Courant ne joua qu’un rôle effacé dans l’aventure. Avant même qu’elle ne commençât, ou dut y introduire un nouvel acteur, l’émigré Fenouillot d’Avans, ancien conseiller au Parlement de Besançon, auteur de brochures royalistes, que Fauche-Borel avait consulté, — c’est lui qui l’affirme, — avant de s’engager. On ne savait rien de Pichegru, de sa manière de vivre, de son caractère, de ses habitudes. Fenouillot s’offrit pour procéder à une enquête qui permettrait de décider par quels moyens on pouvait aborder le général, sans éveiller les soupçons de son état-major et des représentans en mission auprès de lui, dont la présence et l’incessante surveillance constituaient le plus grave obstacle au succès. Une fois dans l’affaire, il y resta.

On voit, à ces détails, que le secret commençait à n’en plus être un. Sans parler de Condé et de ses confidens, le marquis de Montesson, le chevalier de Conlye et autres, Montgaillard, Fauche-Borel, Antoine Courant, Fenouillot y étaient initiés. A quelques jours de là. Condé le communiquait aux agens anglais Wickham et Crawfurd, au général autrichien Wurmser : aux premiers, pour en obtenir un concours en argent, au second, pour en obtenir un concours militaire. Puis y entraient à leur tour l’avocat alsacien Demougé, la baronne de Reich, qui résidait à Offenbourg, l’ancien procureur Wittersbach, et, par ce trio d’espions qui servent l’Autriche, le général de Klinglin.

  1. Le reçu qu’Antoine Courant et lui laissèrent à Condé le 26 juillet porte qu’il leur fut compté 500 demi-souverains d’or à 8 florins et 70 louis.
  2. Le 30 mai 1796, Wickham invoquait la même raison pour refuser à Courant, désigné sous le nom du Turc, de le charger d’une mission de confiance. Il écrivait à Condé : » V. A. S. sait que la figure de cet homme est si remarquable qu’on crierait partout sinon : Au Turc, du moins : Au Renégat ! »