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le comte d’Antraigues. Montgaillard lui-même avait récemment publié à sa librairie quelques-unes de ses élucubrations. C’est ainsi que s’étaient noués leurs rapports.

A la demande de Montgaillard, Fauche-Borel consentit à se rendre auprès du prince de Condé. A Mulheim, il apprit ce qu’on attendait de lui. Flatté dans son orgueil et autant par présomption vaniteuse que par amour pour les Bourbons, il se chargea, sans hésiter, de la difficile mission d’aller jouer auprès de Pichegru le rôle périlleux du tentateur. A dater de ce moment, il va devenir un autre homme. Les mauvaises besognes pervertissent promptement ceux qui les exécutent. Chez Fauche-Borel, on voit se développer peu à peu l’esprit de ruse, l’amour de l’intrigue, une ambition démesurée, une agitation de toutes les heures, laquelle se trahit par une sorte d’illuminisme qui lui fait voir les choses, non comme elles sont, mais comme il voudrait qu’elles fussent. Sorti de la voie droite et paisible en laquelle il a toujours marché, il n’y rentrera plus, entraîné par les illusions qu’il nourrit et qui lui cachent l’abîme, vers lequel il court.

Dans ses Mémoires, il ne perd aucune occasion de rappeler qu’il a sacrifié son patrimoine et sa carrière à la monarchie, comme si nous n’avions pas la preuve qu’en bon commerçant, il a toujours tenu le compte de ses dépenses, qu’on les lui a toujours remboursées, que tous ses services ont été pécuniairement et largement payés, qu’il a reçu de toutes mains, de la Prusse, de l’Angleterre, de Condé, de la Restauration, voire de la police impériale, disent les mauvaises langues, et que, s’il est tombé dans la misère qui le conduisit au suicide, c’est par suite d’un goût immodéré pour les spéculations industrielles[1]. Mais il se garde bien de dire à quel prix il mit son dévouement, en le promettant à Condé. C’est Montgaillard qui nous l’apprend et cette fois, sans doute, il n’a pas menti, puisque son complice n’a pas protesté.

Fauche-Borel eut la promesse, en cas de succès, d’un million à recevoir à l’entrée du Roi en France, du poste de conseiller d’Etat chargé de la direction de l’Imprimerie royale et de

  1. On en trouve la preuve non seulement dans ses Mémoires, mais encore dans d’innombrables lettres de lui, qui figurent au fonds de la police de la Restauration. En 1818, il s’était jeté dans un commerce de chaussures sans couture qui tourna mal.