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Ils n’ont pas à l’adorer ; ils le constatent, et il leur semble qu’il dépend d’eux en quelque manière. Une « religion naturelle » ne les irrite point, et ils vous en feront une, si vous le leur demandez, en quelques heures. Et c’est qu’ils sentent bien qu’une religion naturelle, ne comportant et n’admettant rien de mystérieux ni de troublant, n’entraîne pas plus de respect, de vénération, de crainte et d’adoration qu’un théorème de géométrie. Quand elle est faite, on dit : « exact. » Une religion naturelle leur plaît assez en ce qu’elle n’est pas une religion. — Ce qui leur déplairait autant, je crois, qu’une religion mystérieuse, ce serait le positivisme du siècle dernier, qui trace une limite, qui dit : « Ceci est démontrable ; ce qui est au-delà, par définition, ne l’est pas. Arrêtons-nous ici. On ne démontre pas plus avant. » Ils se diraient que, loin de fermer la porte, c’est la rouvrir ; que le croyant trouve son compte à cette délimitation et à ce départ ; qu’on lui laisse un champ vaste à se mouvoir et à s’élancer sur les ailes de la foi et de l’espérance ; qu’il peut dire que l’inconnaissable, c’est le mystère ; qu’en lui disant que l’infini est indémontrable, tant s’en faut qu’on lui apprenne rien, qu’au contraire on lui donne raison, et tant s’en faut qu’on l’arrête, qu’au contraire on le laisse aller et même on le pousse d’un nouvel élan. Le positiviste dit au croyant : « L’infini est inconnaissable. » Le croyant répond : « J’allais vous le dire. » Voilà ce qu’aurait pensé l’Encyclopédiste du positivisme, et je crois qu’il aurait eu raison.

Enfin, et peut-être surtout, la religion est éminemment traditionnelle et prétend nourrir les vivans de la pensée et de la foi des morts, et tout ce qui est tradition est tellement désagréable à l’Encyclopédiste qu’il suffirait de cette raison pour que toute religion lui fût suspecte, et, sur ce point, il n’y a pas lieu d’insister. Je ferai seulement remarquer ici ce que j’aurais pu noter en un autre endroit. L’Encyclopédie est si hostile à l’esprit de tradition qu’elle évite d’être historique. Sauf en matière philosophique, où elle ne déteste pas faire revivre les systèmes anciens pour les opposer aux idées chrétiennes ou dauber sur les philosophies spiritualistes de l’antiquité pour que l’idéalisme moderne en reçoive un contre-coup, elle fait très petite ou elle fait nulle la part de « l’historique » de chaque idée ou de chaque invention ou de chaque découverte. Elle n’aime pas à « remonter. » C’est le savoir actuel ou la pensée actuelle, c’est le savoir ou la pensée