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L’ENCYCLOPÉDIE.

fans et les châtiant selon leurs démérites ; dans la conception des Encyclopédistes, l’État est un père de famille, dépositaire de la justice et de la morale et chargé surtout de l’enseigner à ses enfans, et n’ayant le droit de les punir qu’après avoir fait tout son devoir d’éducateur. Mais il est toujours père de famille. La conception toute moderne est encore loin qui considère l’État comme uniquement répresseur des actes qui mettent son existence en danger et, du reste, se désintéressant de la moralité ou de l’immoralité des individus.

Après tout, les Encyclopédistes n’ont pas tout le tort. On peut leur dire : « Vous qui voulez qu’on prévienne, plutôt que vous ne voulez qu’on punisse, et qu’on enseigne, plutôt que vous ne voulez qu’on réprime, pourquoi attaquez-vous si fort la religion, qui est une éducation morale et un agent à prévenir les crimes au lieu de les attendre ? » Ils répondront : « C’est précisément parce que, pour d’autres causes, nous voulons faire disparaître la religion que nous sentons le besoin d’un agent moral et d’un éducateur moral et que nous investissons l’État de cet office. » Et, en effet, à mesure que l’influence des religions diminue, on s’aperçoit que le seul agent de moralité est la loi, et que le peuple s’habitue à cette idée, que tout ce qui n’est pas défendu par le Code ne l’est par rien et non seulement est licite civilement, mais est parfaitement moral. « Je ne tombe pas sous le coup de la loi : je suis un honnête homme. » Et alors vient la tendance toute naturelle à replacer dans la loi civile ce qui était autrefois dans la loi religieuse, pour qu’il y ait un agent et un éducateur de moralité quelque part. Ce qui était un péché, on est forcé d’en faire un délit, L’ivrognerie devient un délit ; l’ignorance est un délit ; demain le célibat en sera un. L’État redevient personne morale ; l’État redevient sacerdotal comme il le fut dans l’antiquité. Les Encyclopédistes n’ont pas prévu la chose jusqu’à ce point ; mais ils l’ont prévue et ont ouvert la voie à y parvenir. Il y aurait eu de quoi les faire reculer, s’ils avaient été libéraux ; mais nous verrons plus loin qu’ils ne l’étaient pas pour une obole. J’en suis pour le moment à indiquer seulement qu’ils ne manquaient pas de logique.

Ils ne manquaient pas de bon sens non plus, quand ils combattaient énergiquement la justice arbitraire. Au fond, le Code pénal d’alors était si confus à la fois et si élastique, le droit laissé au juge d’aggraver la peine selon les circonstances du procès