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tions : devoir, bien moral, fins de l’homme, obligation, conscience. Cherchez à ces mots et dites-moi ce que vous y trouvez. On dirait que ces problèmes que le XVIIe siècle et le XIXe ont remués en tous sens n’existent point ou n’existent qu’à l’état de vague souvenir en 1750. Il y a un article de Diderot sur les Passions, qui n’est pas mauvais du tout. Il les analyse fort bien et rend compte très adroitement de leur jeu et s’avise et nous avise fort exactement de leurs auxiliaires. Mais on l’attend à la fin. Peut-on combattre les passions et comment peut-on les combattre ? Diderot est ici fort succinct, dont ce n’est pas l’habitude. Voici tout ce qu’il trouve : « Poussé par ces vents contraires, l’homme pourra-t-il arriver au port ? Oui, il le faut. Il est pour lui une raison qui modère les passions, une lumière qui l’éclaire, des règles qui le conduisent, une vigilance qui le soutient, des efforts, une prudence dont il est capable. Est enim quædam medicina certe ; nec tam fuit hominum generi infensa atque inimica natura ut corporibus tot res salutares, animis nullam invenerit… » On conviendra que Diderot ne s’est pas mis en grands frais et qu’il dit assez posément ce dont on a moins affaire et tourne court, et en se dérobant derrière une phrase de Cicéron, quand il est au point. Il est assez clair qu’il ne croit guère au moyen de vaincre les passions et n’y tient du reste pas autrement. Vous pouvez rapprocher de cela l’article Morale dans le Dictionnaire philosophique, une petite page où il est dit, parmi quelques épigrammes contre le christianisme, que les païens ont eu une morale, que la morale n’a rien de commun avec les dogmes et que la morale est universelle comme la géométrie, encore que celle-ci soit peu répandue. Sur quoi Voltaire tire sa révérence : « Lecteur, réfléchissez ; étendez cette vérité ; tirez vos conséquences. » On n’eût pas été faché que Voltaire s’étendît lui-même, tirât ses conséquences et fît ses réflexions personnellement. Il s’en soucie peu ; c’est assez clair. En général, les Encyclopédistes ne parlent morale que pour l’opposer à la religion et pour assurer que celle-là n’a aucun besoin de celle-ci. C’est avec peine que, recourant aux ouvrages particuliers de D’Holbach et d’Helvétius, M. Ducros a pu tracer une grêle esquisse de la morale encyclopédiste, sur quoi nous aurons occasion de revenir.

La science donc et la science réduite aux mathématiques et aux sciences naturelles, c’est le véritable objet de l’Encyclopédie. L’homme, armé d’observation, d’expérimentation, de bons outils