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et persécutrice de la nature, qu’a enseignée le christianisme. On peut y trouver une philosophie rationnelle à opposer à cette philosophie du surnaturel qui est le fond même et comme le vif du christianisme. Enfin le XVIe siècle a fait de la renaissance de l’antiquité une agression contre l’esprit du moyen âge et a comme ressuscité Julien l’Apostat. L’Encyclopédiste, lui, ne méprise guère moins l’antiquité que le moyen âge. Il date de sa date et voit commencer le monde habitable avec lui-même ou immédiatement après lui. Il veut résolument, cent cinquante ans avant nos jours, exterminer de l’enseignement l’étude du grec et du latin, comme il appert de l’article Collège, qui est de D’Alembert. Il a pour Homère, Virgile et toute l’antiquaille, le parfait dédain du sénateur Pococurante, dont, du reste, il ne faudrait pas trop faire le porte-voix de Voltaire, Voltaire, il faut savoir le dire, n’étant qu’un demi-Encyclopédiste. L’Encyclopédiste a cette particularité, assez curieuse, qu’il ne se cherche point d’ancêtres. Cette coutume, chère à la plupart des novateurs, lui est à peu près inconnue, et cela ne tient pas à ce qu’il est ignorant ; car, assez souvent, il ne l’est pas ; cela tient à ce que le nouveau seul l’attire et le séduit et que sa conviction très profonde est que l’humanité n’a pu que se tromper jusqu’à ce qu’il naquît.

Rien, par exemple, ne serait plus naturel, quand on est libre penseur, que de se réclamer de Descartes. Rien n’eût été plus naturel que ceci, que les Encyclopédistes se réclamassent de Descartes et se déclarassent Cartésiens moins les « erreurs. » Une preuve en est que M. Ducros, bon Encyclopédiste au demeurant, rattache fortement, comme nous le verrons, à Descartes le mouvement encyclopédique. Rien n’eût été plus naturel que ceci, que l’Encyclopédie inscrivit en épigraphe à sa première page : « Ne comprendre rien de plus en nos jugemens que ce qui se présentera si clairement et distinctement à notre esprit que nous n’ayons aucune occasion de le mettre en doute. Conduire par ordre nos pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à comprendre pour monter peu à peu comme par degrés jusqu’à la connaissance des plus composés. » Et, sur ces maximes, écarter résolument tout ce qui ne se pèse point et ne se mesure point, et n’accepter que l’évidence sensuelle, prolongée, pour ainsi parler, par l’évidence logique, rien encore n’était plus naturel. C’est ce qu’avait fait pendant une cinquantaine d’années, avant les Encyclopédistes, Fontenelle, qui les voyait naître avant