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Ce ne fut qu’un cri de joie dans tout l’aître, soudain réveillé.

C’était l’heure de la récréation, et les enfans de l’école avaient un moment de liberté, telles en profitaient, comme vous pensez. Elles étaient bien une quarantaine. Elles se formèrent rapidement en plusieurs groupes, les grandes, les moins grandes et les plus petites. Celles-ci jouaient aux quatre coins, avec des cris, des appels, des éclats de rire. Les plus grandes s’étaient rapprochées et causaient entre elles comme de petites dames. Nous les regardions attentivement. Ce sang normand est beau avec le rose de la vie à fleur de joue. Fines, sveltes, allongées, elles sont plutôt brunes que blondes, et elles ont une grande douceur dans l’éclat de leurs yeux bleus. Quel joli bouquet elles faisaient ainsi réunies en corbeilles, avec les belles nattes pleines et drues tombant dans le dos et quelle jolie promesse pour la vie et pour l’amour !

Les sœurs de l’école surveillaient le petit troupeau. Elles portent un costume gris souris très clair, un tablier blanc, une coiffe blanche, et la figure est encadrée d’un bonnet sans ailes ni ruche, comme dans les figures gravées sur les pierres tombales. Elles allaient et venaient doucement parmi les groupes, épongeant parfois un front en sueur ou apaisant, d’un geste souple, une partie trop animée. Une vieille Normande s’approcha des sœurs. Elle avait une collinette bien serrée sur les oreilles, un fichu à ramages jaunes et rouges, la jupe aux cent plis, et un immense panier sous le bras.


Tout à coup, du haut du clocher, un appel puissant retentit. C’était la cloche de onze heures. Les corbeaux s’envolèrent eu croassant. Une immense rumeur se développa, et versa ses ondes sonores à la suite du premier coup qui venait de se faire entendre. Les enfans crièrent plus haut encore ; les gosiers devinrent perçans comme des flûtes. La cloche redoubla et ronfla comme un orgue. Le quartier tout autour s’anima, et, en même temps, le soleil, déchirant la brume, emplit l’étroite enceinte d’un soudain rayon.

Alors, on eût dit que la vie se réveillait un instant et engageait le combat avec la mort, maîtresse souveraine jusque-là. Les jeux s’excitèrent dans une sorte d’ivresse ; la vieille Normande gesticulait avec animation ; des oiseaux voletèrent en piaillant ; l’ombre et la lumière se poursuivirent parmi les sculptures