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et de lumière adoucie. La lune dessinait, sur le pavé blanc, les pignons d’ombre des maisons pointues et les tours rondes du château. L’air était parfumé de l’odeur des foins coupés dans la campagne ; le crapaud répétait, sur sa flûte rythmée, son idylle monotone, et les chiens aboyaient à la nuit claire.

Le lendemain, je partis à la recherche de mon Saint-Gothard. Un bon tape-cul, vieux comme les chemins et plus dur qu’eux, un solide roussin à la croupe ; râblée, un bon garçon finaud et qui en savait plus long qu’il n’en disait, c’était mon équipage. Nous roulions, dès patron-minette, « à la recherche des eaux. »

Par une belle route ombragée, nous longeons les pâtis où est parsemée la tache blanche des bœufs morvandiots. Sur la hauteur, une chapelle témoigne d’un grand souvenir. C’est là que notre Henri IV, encore roi de Navarre, fit ses premières armes sous l’amiral de Coligny, et que, s’efforçant de gagner le Midi, la petite armée protestante, n’ayant pas 6 000 hommes, passa sur le ventre aux 12 000 hommes du maréchal de Cossé-Brissac qui prétendait lui barrer la route. Ces passages, qui unissent les grandes vallées de la Seine, de la Saône et de la Loire, ont toujours eu une importance stratégique et historique considérable.

La route s’allonge sur les crêtes, — les crêtes que les Gaulois et. les Romains suivaient en marche, pour surveiller le pays au loin. Ce château, non loin, nomme la région : c’est le Fête. Nous franchissons l’Arroux, près de sa source, nous dirigeant vers son affluent, l’Eau-de-Beaune. Sur l’horizon, des lignes bleues rangées en cercle font un autre faite et complètent le cirque. De ces hauteurs et de celles que nous suivons, découlent apparemment les eaux souterraines qui vont sourdre à nos pieds, dans la vallée. Le ciel est clair et le temps frais ; le cocher fait claquer son fouet allègrement. Le vent doit souffler rude sur ces hauteurs, l’hiver ; les arbres isolés sont penchés de l’ouest à l’est comme sur les bords de la mer. Aussi la contrée n’est pas riche : une fillette en chapeau de paille à ruban garde un petit troupeau de cochons et de moutons que rassemble et bouscule le trot constant d’un maigre grand’chien noir.

Voici le château du Grand-Fête, aux Carnot, dont le nom remplit toute la contrée.

Nous descendons la côte ; un instant, l’aspect du pays change : la prairie, cesse, champs superbes, céréales, riches coteaux bien