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Les livres, les journaux, les discours n’ont point parlé d’autre chose. A la Grande-Bretagne il fallait substituer la Bretagne encore et toujours plus grande, quoi qu’il pût en coûter aux autres et même à elle, car empire oblige. Malheureusement pour l’Angleterre, cette conception merveilleuse ne sévit pas seulement sur elle. D’autres peuples sont venus au monde et entendent bien s’y assurer une large place, soit au point de vue commercial, soit au point de vue politique. C’est en Allemagne qu’est né, dans un autre cerveau impérialiste, ce mot de « politique mondiale » qui est passé aussitôt dans la langue courante. On ne fait plus, un peu partout, que des rêves démesurés, et on y applique naturellement des expressions qui ne le sont pas moins. Où tout cela conduira-t-il ? Nous n’en savons rien pour d’autres puissances ; mais, en ce qui concerne l’Angleterre, on peut voir dès aujourd’hui que ces belles imaginations ne vont pas sans quelques inconvéniens.

Le hasard des circonstances, plus encore qu’une politique réfléchie et consciente d’elle-même l’ayant conduite en Égypte, l’Angleterre a commis la faute de ne plus vouloir en sortir. Bientôt, les facilités de tous genres qu’elle avait rencontrées sur le Nil lui ont fait croire qu’elle en trouverait partout d’analogues. L’idée s’est présentée aux imaginations de joindre le Cap à l’Égypte par une chaîne ininterrompue de possessions britanniques. Rien ne paraissait plus simple. Et, pour soutenir cette politique, on a vu se produire, comme par le fait d’une génération spontanée, des hommes d’État d’un type tout à fait différent de celui auquel l’Angleterre était habituée. A une politique aussi nouvelle, ne fallait-il pas des hommes nouveaux ? Il s’en est produit. Mettre l’armée anglaise tout entière dans une entreprise coloniale poursuivie à l’autre extrémité du monde, ne serait jamais venu à la pensée des anciens ministres anglais comme une chose raisonnable, ni même possible. Les Romains savaient que pour faire une politique impériale, il fallait une armée impériale : les Anglais d’aujourd’hui n’y ont pas songé. On avait assuré à la reine Victoria, on lui avait fait croire, on croyait soi-même, — sans s’être donné la peine de recueillir le moindre renseignement, — qu’il s’agissait au Transvaal d’une opération de simple police à laquelle 25 ou 30 000 hommes suffiraient abondamment. Le voile, aujourd’hui, s’est déchiré ; il s’est déchiré sous les yeux de la reine. On ne saura jamais quel drame douloureux s’est alors passé dans son âme chrétienne. Nous nous contentons de répéter qu’il aurait mieux valu pour elle disparaître avant que cette épreuve suprême lui fût imposée.