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France ne profiterait finalement pas à la puissance britannique. Mais cette erreur ne lui est pas personnelle ; elle a été partagée par toutes les autres puissances de l’Europe, et il serait injuste d’en faire à elle seule un grief particulier. Ce que nous devons nous rappeler, au moment où meurt la reine Victoria, c’est qu’en 1875, dans les circonstances encore en partie mystérieuses où un nouveau danger a menacé la France, deux souverains ont agi sur le vieil empereur Guillaume pour détourner le coup qu’on semblait, à Berlin, se disposer à nous porter, et qu’ils ont été l’empereur de Russie et la reine d’Angleterre. L’intervention du premier est plus comme que celle de la seconde, et la France lui en a voué une reconnaissance bien légitime. Mais après les révélations qui ont été faites dans ces derniers temps et que les Mémoires du prince de Bismarck ont confirmées, on n’ignore plus que la reine Victoria a écrit une lettre personnelle à Guillaume Ier, et que cette lettre a produit sur celui-ci une impression assez forte pour provoquer une irritation très violente chez le redoutable chancelier. Que la reine ait été mue à ce moment par une préoccupation politique, ou, comme nous inclinons à le croire, par un sentiment plus humain, à la pensée de voir l’Europe une seconde fois couverte de cadavres et inondée de sang, il est certain qu’elle a rendu service à la cause de la paix, et que ce n’est pas la France qui a le droit de l’oublier. Aussi ne l’oublions-nous pas, et ces souvenirs de 1875 sont entrés pour beaucoup dans l’émotion respectueuse que nous a causée la mort de la reine. Il y a eu dans sa vie des pages plus éclatantes, et surtout plus bruyantes, car son intervention, à cette époque, a été aussi discrète qu’elle a été utile. Mais, si l’on se place à un point de vue supérieur aux passions du jour, causes si fréquentes d’injustice et d’erreur, cette page de son histoire mérite d’être comptée à la reine Victoria. Depuis, comme alors, son influence n’a pas cessé de s’exercer dans le même sens. Elle répugnait à la guerre, et si elle s’est résignée à celle du Transvaal, c’est d’abord, peut-être, parce qu’elle ne pouvait pas l’empêcher, et ensuite parce qu’on l’a trompée sur son véritable caractère. Comprenant comme elle le faisait les limites de ses droits constitutionnels, elle a laissé leur liberté à ses ministres. Respectueuse de l’opinion, elle était exposée à la suivre, même dans ses égaremens. La responsabilité véritable appartient à ceux qui ont abusé leur souveraine et égaré le sentiment national.

Le mal, d’ailleurs, vient de loin, et il faut bien avouer que la reine n’y a jamais fait grand obstacle. La politique impériale plaisait à son imagination comme à celle du pays. Il y a, chez nos voisins, un