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denrée en raison de son abondance. Du moins a-t-on trouvé, sur ce terrain des intérêts matériels, les solutions mesurées qui devraient prévaloir dans les conflits de tout ordre entre les deux principes : elles protègent le travail national, elles n’exposent pas nos populations à la disette ou à la privation des produits indispensables qui nous viennent du dehors.

Un peu plus tard, l’instinct nationaliste prit alarme du bon accueil fait en France aux littératures étrangères. Notre public se montrait las des formules à la mode sur le marché du livre parisien : il lisait avec intérêt des œuvres russes, Scandinaves, anglaises, allemandes. On se souvient des cris d’effroi poussés alors par les défenseurs du « génie latin. » Pour les contenter, des personnes conciliantes leur vantèrent quelques beaux livres d’imagination qui paraissaient en Italie : comment honorer mieux le génie latin ? Nos douaniers intransigeans ne désarmèrent pas, ils coururent défendre cette autre frontière avec une humeur tout aussi colérique. L’intégrité de l’esprit français était menacée de tous côtés : de jeunes auteurs l’assuraient, qui s’étaient heurtés chez les éditeurs aux piles de romans étrangers ; on le déplorait dans les académies, Le « cas Wagner » vint envenimer la dispute. Les enragés d’exotisme firent tout ce qu’il fallait pour l’aggraver : à les entendre, la musique était née avec le dieu de Bayreuth, la poésie avec Browning, le théâtre avec Henrik Ibsen, la philosophie avec Nietzsche. Nous avons rompu ici quelques-lances entre les deux fronts de bandière, contre les plus échauffés des deux troupes : position stratégique fort incommode : on y embourse le maximum de coups. Je reviendrai tout à l’heure sur les argumens que nous opposions-alors au protectionnisme littéraire : ils gardent à mon sens toute leur valeur, quand on les ajuste à des controverses plus récentes, nées des mêmes appréhensions.

Les belligérans n’en sont plus à nos escarmouches littéraires d’il y a dix ou douze ans. Qu’elles étaient courtoises et inoffensives, en comparaison de la furieuse mêlée où l’on jette dans le débat toutes les questions politiques et sociales ! Nationalisme et cosmopolitisme sont devenus les cris de guerre des deux années qu’on retrouve toujours en présence, sous les bannières changeantes qui mènent à la bataille les passions et les intérêts des hommes. Ce n’est plus seulement le blé ou le vin, ce n’est plus le roman ou le draine étranger dont l’entrée en franchise