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choisir entre les deux principes sans étouffer en nous quelques-uns des plus impérieux sentimens du cœur ou quelques-unes des plus claires évidences de la raison.

Certes, notre vieille France lien est pas, comme le Tchèque ou le Bulgare, à se chercher dans un passé ténébreux des droits à l’existence, des litres périmés qu’il faut revendiquer et défendre avec une susceptibilité ombrageuse. Et pourtant elle s’est émue devant les progrès du cosmopolitisme ; elle s’est sentie atteinte, menacée tout au moins dans ses œuvres vives. C’est son privilège et son danger d’être à la fois la plus engageante, la plus hospitalière des contrées, et le creuset expérimental où l’histoire essaie d’abord toutes ses combinaisons. La nation qui était encore, au début du XIXe siècle, la plus nombreuse, la plus riche, la plus forte de l’Europe voit avec stupeur sa condition si changée au XXe siècle. Tombée au dernier rang des grands États pour le chiffre de la population, déjà loin du premier rang pour le développement commercial, industriel, maritime, elle craint d’être submergée dans un prochain avenir par ces races unifiées et multipliantes, l’anglaise, l’allemande, la slavonne.

La France est excusable d’éprouver quelque émoi devant cette nouvelle distribution des puissances civilisées ; elle serait inexcusable de laisser péricliter la seule force qui lui permettra de faire figure avec de petits moyens, sa parfaite unité morale. Elle le sent ; et c’est pourquoi nous la voyons secouée d’un frisson incoercible, depuis qu’elle croit celle unité compromise par de trop fortes infiltrations hétérogènes, par une insidieuse ; mainmise sur tous les ressorts de sa puissance, sur toutes les sources où elle alimente sa pensée. Sachons comprendre ce sursaut d’inquiétude. Un mouvement de rétraction nationale, — ou nationaliste, — se manifeste aujourd’hui chez nous comme chez la plupart des peuples voisins : on ne fera que l’exaspérer en le niant dédaigneusement ; n’est-il pas préférable de l’éclairer, de le prémunir contre ses propres excès ?

Prenons-le à ses origines : car tout se lient dans les manifestations de cet instinct. Il s’est révélé d’abord dans le domaine économique, par la réaction fougueuse du protectionnisme contre la doctrine libre-échangiste. Je ne suis pas grand clerc en économie politique : mais j’ai peine à croire qu’on puisse résister longtemps à la force des choses, quand elle abat les barrières artificielles, facilite les transports, nivelle partout les prix d’une