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prostitués aux boutiquiers du Transtévère ou de Ripetta ; les sonnets sur les courtisanes, sur la comédie de la rue, sur l’éternelle humanité dont la pourpre cardinalice ou la majesté pontificale ne réussissent pas à déguiser la misère :


Quand je vois ces messieurs, desquels l’autorité
Se voit ores ici commander en son rang
D’un front audacieux cheminer franc à franc,
Il me semble de voir quelque divinité.
Mais les voyant pâlir lorsque Sa Sainteté
Crache dans un bassin, et d’un visage blanc
Cautement épier s’il n’y a point de sang,
Puis d’un petit souris feindre une sûreté :
O combien, dis-je alors, la grandeur que je voy
Est misérable au prix de la grandeur d’un Roy !
Malheureux qui si cher achète un tel honneur.
Vraiment le fer meurtrier et le rocher aussi
Pendent bien sur le chef de ces seigneurs ici,
Puisque d’un vieil filet dépend tout leur bonheur.


Il y a dans ces vers une vérité de représentation, une netteté de contours, une sûreté de main qu’on n’attendait pas de l’auteur de l’Olive, et, généralement, dans toute cette partie des Regrets, une force de satire voisine de celle de Rabelais. On la retrouve ; encore dans les sonnets du retour, sur Venise, par exemple, sur les Grisons, ou sur Genève.


Je les ai vus, Bizet, et si bien m’en souvient
J’ai vu dessus leur front la repentante peinte…
Comme on voit ces esprits qui là-bas font leur plainte,
Ayant passé le lac d’où plus on ne revient.


Il n’est pas moins heureux dans l’expression du regret de la patrie absente. Faut-il rappeler le sonnet célèbre ?


Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage…


Mais celui-ci, que l’on connaît moins, ne mériterait-il pas de faire figure dans toutes nos Anthologies ?


France, mère des arts, des armes et des lois
Tu m’as longtemps nourri du lait de ta mamelle,

! ! Ores, comme un agneau que sa nourrice appelle, ! ! Je remplis de ton nom les antres et les bois.

! ! Si tu m’as pour enfant avoué quelquefois ! ! Que ne me réponds-tu, maintenant, ô cruelle !