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La nommant par le nom de la terre et de l’onde,
Ainsi le monde on peut sur Rome compasser
Puisque le plan de Rome est la carte du monde.


Cela tient-il peut-être à la naturelle gravité de « l’alexandrin ? » Mais jamais encore la langue de Du Bellay n’avait été si pleine, si sonore et si dense. On le sent tout à fait maître ici de sa matière et de sa forme. Un pas de plus, et en devenant le poète des Regrets, il allait devenir tout à fait original, et déjà presque « moderne. »

Car les « beautés » de la Ville Eternelle ne l’avaient pas longtemps détourné de lui-même ; et, surtout, la Rome des Papes ne l’avait point ému du même respect que la Rome des Césars. A vivre au milieu des intrigues de toute sorte qui remplissaient la Cour pontificale, et à voir de près, en spectateur désintéressé, la nature des ressorts qui faisaient mouvoir le monde, il avait senti renaître son humeur satirique. La comparaison des mœurs romaines avec les mœurs de France avait éveillé son attention sur beaucoup de choses qui ne s’apprenaient point à l’école du savant Dorai. Obligé de contenir et de cacher ses vrais sentimens, il s’en était fait comme un monde intérieur, où il se retirait avec délices, quand le service du cardinal, quand les importuns dont il était assiégé tout le jour, quand ses propres ennuis lui en laissaient le loisir. S’il y retrouvait d’autres ennuis, ils étaient d’une autre sorte, plus désintéressés, plus nobles ; et surtout ils lui étaient chers. N’est-ce pas une sorte de joie que de s’isoler au milieu d’un monde indifférent ou hostile, dont on est, où l’on vit, mais qu’on juge ? et les tristesses mêmes de l’exil ne sont-elles pas mêlées de quelque douceur quand on sait bien ou quand on espère que l’exil ne sera pas éternel ? Du Bellay l’éprouva. Voluptés du secret et de l’isolement, souvenirs de la terre natale, incidens de la vie commune, — « la mort du petit chat Belaud » et les saillies du secrétaire Le Breton, — mœurs de cour, spectacles de la rue, bruits de la ville, prélats et courtisanes, découragemens, retours d’espérance et d’orgueil, c’est tout cela qu’au jour le jour, il nota dans ses vers.


Se plaignant à ses vers, s’il a quelque regret
Se riant avec eux, leur disant son secret
Comme étant de son cœur les plus sûrs secrétaires ;


et c’est de tout cela que sont faits les sonnets des Regrets. On