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au mur, elle est écrasée par la concurrence. Affaire d’ambiance, d’éclairage et de reculée. L’affiche qui descend sur le trottoir doit être « faite, » comme la tête d’une femme de théâtre qui, pour aborder la rampe, exagère les traits et les nuances de sa figure et substitue un heurté savant à l’harmonie naturelle de son visage.

Ces affiches éphémères, imprimées sur un papier qui ne contient de matières textiles que juste ce qu’il en faut pour retenir le plâtre dont il est presque entièrement composé, sont collées annuellement, dans les rues de Paris, au nombre d’environ 1 500 000 ; les années d’élection, ce chiffre augmente, dans la capitale, d’au moins 800 000 exemplaires. En province, une grande agence de Paris pose, à elle seule, 6 millions d’affiches. Leurs dimensions vont du « quart-colombier, » — 0m, 41 sur 0m, 30, — au « quadruple grand-aigle, » — 2m, 20 sur 1m, 40, — et le coût, pour la taille la plus usitée, est de 100 francs le mille. Mais l’impôt du timbre vient plus que tripler ce prix.

A cet égard, l’affichage vit sous le régime d’une loi de 1852, devenue absurde, parce que la matière régie par elle a complètement changé depuis un demi-siècle. La taxe, qui commence à 6 centimes pour les plus petits modèles, s’élève graduellement à 24 centimes pour les formats supérieurs à 82 centimètres sur 60, quelque surface qu’ils couvrent. Au début du second empire, il n’existait pas de presse capable de tirer de grands placards ; tandis qu’aujourd’hui, grâce au matériel typographique en usage, on arrive, pour économiser les timbres, à imprimer des affiches immenses, à employer même du papier continu.

Les premiers qui eurent recours à ce procédé réalisèrent parfois de jolis bénéfices : de ce nombre fut M. Morris, le concessionnaire des colonnes-spectacles. Les directeurs des principales scènes de Paris, pour la confection et la pose des affiches qui annonçaient leurs représentations quotidiennes, avaient avec lui des traités à forfait, où le coût du timbre, bien qu’il n’en fût pas fait mention, représentait pour l’entrepreneur un débours assez gros. Il parvint à le réduire en groupant sur une même feuille, le programme de plusieurs théâtres. Il obtint de ce chef, à raison de 2 francs par jour sur 150 colonnes, un profit supplémentaire d’environ 120000 francs par an et cela pendant quinze ans, sans que personne se fût aperçu de cette habileté, d’ailleurs légitime.