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V.

Lorsque la publicité ne saurait trier dans la foule les « sujets » qu’elle désire « travailler, » l’affiche seule lui convient. Multiple et tenace, elle ne vous arrête point dans votre marche, elle ne vous interrompt pas dans vos pensées ; mais elle vous rend obligatoire la lecture d’un, deux ou trois mots. C’est le crieur de rue qui se fait entendre par les yeux, à 50 mètres de distance. Le placard racoleur, qui s’épanouit au grand jour de la ville sur le mur salpêtre, n’a pas besoin de boniment ; bien plus, chercher à le transformer en agent de conviction, ce serait le réduire à l’impuissance. Chaque outil a sa fonction propre ; celui-ci doit jeter un nom avec persistance et clarté. Pour dire en une seconde au public ce qu’il a de capital à lui dire, il condense la réclame en une courte phrase et l’impose, comme l’orgue de Barbarie apprend à l’oreille les airs qu’il moud sans trêve. L’affiche idéale, agissant d’une façon mathématique, est celle qui n’a pas besoin d’être lue, mais sur laquelle il suffit de laisser tomber son regard pour embrasser, malgré soi, le texte.

Ce texte doit-il demeurer immuable dans sa forme ? Doit-il, au contraire, varier de temps en temps ? Les deux systèmes ont leurs partisans : les uns jugent que l’attention s’émousse vite ; qu’il faut, pour l’entretenir, renouveler à chaque instant l’effort ; qu’à passer fréquemment devant Notre-Dame ou le palais du Louvre, on finit par ne plus les voir ; et qu’une affiche à laquelle on s’habitue est comme si elle n’existait pas. Les autres affirment que, pour enfoncer profondément quelque chose dans la cervelle des passans, il faut frapper toujours de la même façon et au même endroit, que l’emblème d’une poudre à punaises ou d’un chocolat vu et revu quotidiennement se loge dans une case de votre mémoire et devient pour vous le prototype du chocolat ou de la poudre insecticide. Grave question de psychologie, que nous laisserons trancher par les experts !

Tous s’accordent, au reste, à bannir sans pitié les fioritures et les arabesques, qui communiquent du fondu à la composition, Ils recommandent des caractères très simples, lisibles à grande distance ; peu de teintes, leur abondance atténue l’intensité du choc visuel. Une pancarte qui, dans un bureau et isolée, paraissait grande et nette, se trouve mesquine et confuse, lorsque,