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débauchés et exposaient aux crachats leur masque aviné de Lorenzaccio. J’en dirais autant des comédies et des farces : marchands sans conscience, chevaliers sans aveu, séduisans voleurs, bonzes paillards, usuriers, entremetteuses, jaloux imbéciles, amoureux éventés et prodigues, nous avons déjà voyagé dans la galère de ces rameurs où parfois une geisha mélancolique effeuille sur les eaux la couronne fanée de notre Dame aux Camélias.


Mais l’analogie des sujets traités fait d’autant mieux ressortir les différences d’esprit qui nous séparent des Japonais. Elles sont considérables et me semblent presque toutes à leur désavantage. Premièrement, tandis que chez nous, la philosophie déborde jusqu’à l’âtre enfumé de la reine Pédauque, leurs contes et leur théâtre trahissent une lamentable pénurie de pensées. Leurs fables sont des os sans moelle, des boîtes sans drogue, de jolies fioles vides. Vous perdriez votre temps à fleurer et sentir leurs livres : ils manquent de graisse. Ce n’est point que leurs romanciers ne se piquent de moraliser, mais, quand ils n’allégorisent pas leurs propres récits, la moralité qu’ils extraient eux-mêmes des aventures de leurs personnages nous paraît aussi sèche qu’imprévue. Bakin s’en remet d’ordinaire à ses pires héros du soin de prêcher ses lecteurs. Et les anecdotes les plus salées et les plus piquantes dont nos prédicateurs du moyen âge se plaisaient à aiguillonner la vertu de leurs ouailles nous donneraient encore une faible opinion des étranges détours par où les bonzes entreprennent souvent de pousser vers le Paradis le troupeau des fidèles. Je ne connais qu’une seule fantaisie vraiment succulente. Elle date du XVIIIe siècle et les Japonais l’avaient oubliée, lorsque le savant et délicat professeur de philologie à l’Université de Tokyo, M. Basil Chamberlain, la découvrit chez un bouquiniste. Ce sont les merveilleux voyages de Wasobyoé, le Gulliver du Japon. Entraîné sur sa barque loin de Nagasaki, il aborde, après trois mois de tempête, au pays de l’Eternelle Jeunesse et de la Vie Eternelle. Les insulaires de cette de enchantée, qui voyaient à peine un des leurs mourir tous les deux ou trois mille ans, ne rêvaient et ne s’entretenaient que de la mort. Ils tendaient de toute leur âme vers cet abreuvoir inaccessible. Les tables des riches étaient encombrées de poisons et de plats vénéneux, et ces déshérités de la tombe cherchaient dans le vertige et l’anesthésie un calmant à leur soif de mourir. De tels passages où la forme neuve et