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écrasés, et, quand vous approchez, le fouillis des sculptures vous produit l’impression d’une éblouissante fourmilière. Prenez une écorce d’arbre trouée, dentelée, déchiquetée ; dorez-en les guipures ; passez-en les aspérités au vermillon ; que chaque piqûre s’y teigne d’une couleur vive, et vous aurez la façade de ces temples, telle qu’elle apparaît à vos yeux mi-clos. Encore un pas, et tout le réalisme de l’art japonais vous saisit : les galets des grèves étincellent au milieu des cours ; les plantes et les bêtes se détachent et s’animent sous les encorbellemens bigarrés de ces arches divines. Entrez dans les sanctuaires : une nature idéale surgit au sombre miroir des laques, aux tentures fauves de l’or. Mais partout, du centre des plafonds où le dragon aux écailles bleuâtres rue, comme une pieuvre énorme, ses tentacules et ses griffes, sur les portes bardées de gueules écarlates, le long des murs où les lions grimacent et d’où les tigres s’échappent en tourbillons de flammes, partout, un surnaturel baroque, une fantaisie qui n’a pour but que son propre contentement entrelace ses rameaux exaspérés à la réalité charmante ou aux types éternels. Il y a là je ne sais quelle impuissance à concevoir l’unité profonde. Ces trésors éparpillés dont chaque merveille vit d’une vie indépendante et solitaire, leur richesse éclatante, excessive et monotone, vous noient le cœur de tristesse. Voulez-vous leur donner un sens ? Gravissez le long escalier de pierre qui grimpe la colline et mène les pèlerins au tombeau de Yeyasu. Son parapet de granit est tendu d’un velours humide tissé par la mousse des bois. On y aspire la fraîcheur des grands arbres dont le cortège monte avec vous. Les pagodes s’éteignent dans la verdure. Le tombeau désert est d’une simplicité solennelle ; une grue hiératique perchée sur une tortue, des pierres, l’ombre et le silence. Quelle douceur ! Vous avez touché l’idée vivifiante de la mort : les temples qu’elle domine et tous leurs prestiges ne sont qu’une grappe de vaines splendeurs suspendue à un sépulcre et sortie du néant.


II

La voilà donc cette imagination japonaise qui exerce sur nous l’attirance d’un aquarium où la nature nage dans du songe. Elle irradie en lueurs douces sur toute la vie domestique et sociale de ce peuple d’artistes instruits par la nature, mais tour à tour subtils comme des Byzantins et puérils comme des barbares. Ne