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dessin. De la chenille au papillon, de la sombre fourmi au scarabée d’or, tous les insectes ont trouvé au Japon des peintres amoureux de leur fragilité et de leur éclat éphémère. Les pinceaux trempés d’encre de Chine savent ce que vaut un rayon de soleil sur la jointure d’une patte de criquet ou sur l’aile d’une libellule. Les grillons et les cigales occupent une telle place dans la vie esthétique des Japonais qu’ils en font un commerce et leur tressent des cages minuscules et dorées. Jadis les grands seigneurs eux-mêmes organisaient des chasses d’insectes, la nuit, aux lanternes. Les poètes ont noté leur musique plus claire et plus perçante dans le silence du crépuscule. L’un résonne comme une clochette, l’autre vocalise comme un oiseau. Celui-ci psalmodie le kyô des prêtres bouddhistes, et celui-là rend des sons si tendres qu’une perle de rosée, si elle était d’un cristal sonore, ne saurait en vérité plus doucement tinter. Ils s’éveillent avec le printemps ou quand les trèfles changent de couleur ; ils emplissent l’automne de leur tristesse aiguë, et leurs cris redoublés vous entrent dans l’âme, le soir, sur les rayons du clair de lune.

Leurs ennemis, les oiseaux, ont aussi des voix que tous les cœurs entendent, témoin le corbeau dont le croassement semble répéter le mot amour, kawai, kawai. Mais la célérité de leur vol, le déploiement de leur essor, les raccourcis de leur plongeon, la pointe aventureuse de leur bec, la légère et mobile ténacité de leurs pattes, voilà ce que le peintre japonais saisit et fixe à jamais sur ses bandes de soie ou ses longues feuilles de papier. Il laisse au brodeur, à l’émailleur, au sculpteur le soin de copier la bigarrure de leur plumage et les tons les plus chauds et les nuances les plus fondues. Les coloristes triomphent dans la porcelaine et le cloisonné, et les temples bouddhistes sont souvent de prodigieux musées d’ornithologie. Bécasses, pigeons, canards, oies, grues, hérons, paons et faisans s’ébattent sur leurs frises ajourées, et, au milieu des halliers et des vallons déserts, semblent exposés à la nature, exemplaires hiératiques de sa propre splendeur. L’imitation est ici poussée jusqu’à la servilité. L’idéal des sculpteurs japonais est de nous tromper comme Zeuxis faisait de ses moineaux. Leurs animaux familiers nous suivent des yeux et nous narguent. Les singes, accroupis sur leur arrière-train, grattent d’une patte leur cuisse velue et de l’autre brandissent de grosses noix. Vous êtes visé : baissez la tête ! Je sais à Nikkô, au-dessus de la porte d’un temple, un chat blanc, le dos ombré