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aperçoivent de la trahison. Leur erreur vient, selon moi, de ce qu’elles l’ont supposé un grand homme de guerre, incapable de commettre des fautes aussi graves… M’étant trouvé alors en rapports avec lui, ayant été témoin de ses embarras et de ses sollicitudes, ayant pu apprécier plusieurs de ses démarches et juger qu’elles étaient dictées par le désir d’éviter un revers, j’ai tout lieu de croire que la pensée de trahir, bien qu’elle fût en son esprit, ne dirigeait point encore ses actions militaires. »

Voilà qui est formel et ne nous laisse plus qu’à rechercher si Pichegru fut plus coupable après l’armistice du 31 décembre qu’il ne l’avait été avant, et si Gouvion Saint-Cyr a été fondé à l’incriminer à partir de celle date, après l’avoir justifié pour la période antérieure. Nous avons lieu de croire que la suite de ce récit fera la lumière à cet égard.

Quant au maréchal Jourdan, dont la correspondance ne relève contre son camarade aucun motif de suspicion, s’il est vrai, comme le prétend Louis Blanc d’après un manuscrit non encore publié, qu’il se soit rangé parmi les accusateurs de Pichegru, nous ferons remarquer que lorsque deux généraux ayant essuyé des échecs au même moment, sur le même théâtre, l’un des deux cherche à en rejeter la responsabilité sur l’autre, il est nécessairement suspect aux yeux de tous les hommes justes et non prévenus. C’est l’opinion qu’exprime Barras, à propos des dissentimens qui s’étaient élevés entre ce même Jourdan et Moreau, dans une situation analogue à celle où Jourdan s’était trouvé avec Pichegru. « Jourdan n’a plus là Pichegru pour l’accuser de ses revers. Il faut que ce soit maintenant Moreau. » Il importe d’ailleurs de rappeler que la conduite de Jourdan dans la campagne de l’an V, encore qu’elle ne fait pas exposé à une accusation infamante, a soulevé de nombreuses critiques. A ses partisans, accusant Pichegru de l’avoir abandonné à ses propres forces après le passage du Rhin, répondent ceux qui lui reprochent à lui-même de n’avoir pas secouru Pichegru après l’avoir mis en péril au mois de novembre en revenant tout à coup sur la rive gauche.

Il existe sur ce point une vive sortie du représentant du peuple Rivaud, se plaignant du silence de Jourdan et de son inaction en un moment où Pichegru comptait sur lui. « Je ne sais si le malheur qui aigrit l’esprit et dispose aux soupçons me fait voir les choses autrement qu’elles sont. Mais, il me