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et se jettent dans l’inférieur où leur famille les rappelle ; les autres se portent malades, se font évacuer d’hôpitaux en hôpitaux et ne rentrent pas à leur corps ; les administrations ne les l’ont pas rejoindre. Ceux qui restent ouvrent une oreille complaisante aux propos des émissaires royalistes et des espions autrichiens.

Bâcher, l’agent diplomatique français à Bâle, bien qu’il se plaigne lui aussi d’être sans argent et de ne pouvoir plus payer des espions pour surveiller l’ennemi, parvient cependant ; à surprendre ces tentatives de corruption et les dénonce : « Les émigrés se servent de l’argent de l’Angleterre pour recruter de tous les côtés. Leurs commissaires se répandent et s’insinuent partout, et, si l’on n’y prend garde, ils parviendront par des embaucheurs et des embaucheuses à nous enlever bien du monde. Le meilleur moyen de déjouer ces manœuvres et de rompre ces intelligences est de changer souvent les corps placés sur l’extrême frontière, sans quoi il faudra s’attendre à une désertion qui pourra devenir d’autant plus inquiétante que nos volontaires ont de la peine à subsister avec leur prêt, vu le discrédit total des assignats, tandis qu’on leur fait croire qu’on roule sur l’or au camp de Condé. On accorde trop de permissions pour Bâle. Le désordre est tel dans cette ville qu’on voit nos militaires se promener et même boire quelquefois avec les émigrés. »

Ainsi la misère d’un côté, l’indiscipline de l’autre, voilà les deux plaies de l’armée, la cause de sa désorganisation. Les plaintes de Pichegru ne sont que trop fondées ; il en poursuit le Comité de Salut public, les représentais du peuple qui l’assistent et le surveillent et sont les témoins de ce lamentable spectacle : Merlin de Thionville, Rewbell, Garrau, Rivaud ; il en entretient ses camarades : Jourdan, Moreau, Abbatucci, Liébert, son major général ; il tache de réparer les tristes effets de l’abandon et de l’incurie dont les armées du Rhin n’ont été que trop visiblement l’objet.

Dans une lettre qu’il adresse à Jourdan le 19 novembre, on sent percer le découragement qui déjà s’est emparé de lui, à la suite des revers qu’ont subies, à celle date, les armées du Rhin, et qu’on ne peut attribuer qu’à leur désorganisation : « J’ai senti comme toi qu’il conviendrait que le gouvernement recréai l’armée de la Moselle. Je lui en ai écrit plusieurs fois, mais je n’ai reçu de lui qu’une seule réponse depuis le 8 du courant, quoique je