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gauche. L’année de Rhin-et-Moselle avait pour théâtre le haut Rhin, de Mannheim à Huningue ; elle était opposée à Wurmser, dont les effectifs se grossissaient du petit corps du prince de Condé. En arrivant au poste important qu’il tenait de la confiance du Comité de Salut public, Pichegru se flattait de l’espoir d’y trouver les mêmes succès qu’en Hollande. Sa mission, comme celle de Jourdan, consistait à passer promptement le Rhin et à chasser des pays rhénans les troupes impériales. Mais de terribles déceptions l’attendaient. Il allait voir se dresser devant lui des difficultés imprévues et innombrables, et ses patriotiques efforts paralysés par la misère noire qui régnait dans son année, par l’indiscipline qui en était la conséquence et par une désorganisation générale de tous les services.

Cette misère résultait du discrédit, dans lequel étaient tombés les assignats. Ils n’étaient acceptés par les fournisseurs qu’au taux de 3 pour 100 de leur valeur nominale ; et, comme le Trésor public ne payait qu’en papier les officiers et les soldats, sauf une petite somme en numéraire, 8 francs par mois pour les uns et moins encore pour les autres, ils ne parvenaient plus à se procurer les objets nécessaires à la vie. Force était pour eux de se les procurer par la maraude et le pillage, à la grande fureur des populations dont ils occupaient le territoire. Le Comité de Salut public, réduit aux expédiens, s’efforçait de remédier à ce mal. Mais lorsque à un envoi de 130 millions en assignats il ajoutait 200 000 francs en numéraire, — telle était la proportion. — il ne faisait que verser une goutte d’eau pour apaiser la soit de quatre-vingt mille hommes. Ses ressources restaient pour longtemps épuisées de son effort, sans que l’année, quoique regorgeant d’assignats, s’en trouvât ni plus riche ni plus efficacement soulagée.

Le 11 juillet, Pichegru, remerciant Moreau qui venait de lui envoyer 50 louis pour acquitter une ancienne dette, lui disait : « Je suis ici comme un mendiant avec un portefeuille garni. Les troupes y sont bien à plaindre, car on ne trouve rien en Alsace avec des assignats. Cela augmente leur désir d’atteindre l’autre rive, et je crois que, si elle est bien défendue, elle sera vigoureusement attaquée, car le soldat ajoutera à son énergie et à son courage ordinaire la fureur du besoin. Il est cependant bien malheureux d’avoir à chercher sur des terres ennemies des moyens d’existence ou des secours que l’on aurait le droit d’exiger