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pires déclamations contre son rival de gloire, duquel il dira plus tard qu’il lui devait sa nomination comme divisionnaire et que c’est sur sa désignation formelle qu’il avait été successivement appelé à lui succéder au commandement de l’armée du Nord et de l’armée de Rhin-et-Moselle. La proclamation qu’avant de quitter son quartier général, il adressa à son armée témoigne avec plus d’éclat encore, de son ingratitude. Elle est un acte d’accusation foudroyant et d’autant plus inconcevable que Moreau ne tenait aucune preuve de la trahison. Le déchiffrement des pièces était loin d’être achevé. Il ne put en emporter que quelques-unes à Paris, Reynier se hâtait de déchiffrer les autres pour les lui expédier aussitôt avec la clé.

Il est maintenant aisé de comprendre en quelles dispositions il arriva dans la capitale. Soucieux surtout de se disculper aux yeux du Directoire du long retard qu’il avait mis à lui faire connaître la capture des papiers de Klinglin, il crut, en se rangeant parmi les accusateurs les plus ardens de Pichegru, écarter le soupçon auquel il s’était exposé. Il accabla son camarade sous le poids de ses dires, tâche aussi facile que dépourvue de générosité. C’était l’heure où la Terreur recommençait. Captif, proscrit, considéré connue, perdu, Pichegru n’avait pas un défenseur. Personne n’éleva la voix en son nom pour réclamer des juges. Les griefs qu’on lui imputait, à l’aide d’affirmations écrites et verbales qui n’avaient été soumises à aucun contrôle, s’attachaient à son nom comme la preuve indiscutable de son infamie.

A quelques jours de là, Augereau, le second de Barras dans la préparation militaire du coup d’Etat, prenant possession du commandement de l’armée d’Allemagne laissé vacant par la mort de Hoche, traduisait en un langage emphatique, dans un manifeste à ses troupes, l’opinion déjà formée contre Pichegru. « Caton, ne pouvant survivre à la liberté de sa patrie, déchire ses propres entrailles, et sur son cadavre César s’élève un trône. Hoche meurt à la fleur de ses ans et au comble de la gloire, et Pichegru survit à ses forfaits : tels sont les arrêts de l’aveugle destin. Soldats ! qu’une larme arrose le cercueil du héros, et qu’un cri d’exécration anathématise le traître ! » C’était la pelletée de terre finale jetée sur la sépulture où, dès ce moment, gisait l’honneur de Pichegru.

Sa conduite ultérieure, lorsque, après s’être évadé de Sinnamari, il arriva à Londres avide de vengeances contre les auteurs