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Modérée dans son ensemble, cette déclaration où Moreau relève uniquement contre Pichegru ses relations avec les princes français, sans l’accuser de trahison, n’est sincère que dans sa première partie. Ce qu’il n’avoue pas, c’est qu’il ne voulait décider s’il y avait lieu ou non de se faire dénonciateur que lorsqu’il connaîtrait l’issue de la lutte engagée entre Pichegru et le Directoire. Il subordonnait sa conduite au résultat. Barras insinue que la lettre à Barthélémy, à laquelle il attribue la date du 17 fructidor, pourrait bien avoir été antidatée ; sa mémoire l’a trompé, et il est positif que la lettre fut écrite le 19. Ce qui n’est pas moins vrai, c’est que le 24, alors qu’arrivaient au quartier général de l’armée de Rhin-et-Moselle les informations relatives au coup d’Etat, Moreau, maintenant assuré de la victoire directoriale, traçait en marge d’une dépêche de service, adressée au ministre de la guerre Schérer, ces quatre mots : « Déliez-vous de Pichegru. » Puis, au bas de la lettre, il ajoutait : « J’ai cru devoir à votre place et à l’amitié qui nous lie l’avis ci-joint en quatre mots. Je vous confie ce secret. Vous pouvez être sûr de sa véracité[1]. »

Le même jour, répondant à l’appel du gouvernement, il annonçait son départ pour Paris : « Je n’ai reçu que le 22, très tard, et à dix lieues de Strasbourg, votre ordre de me rendre à Paris. Il m’a fallu quelques heures pour préparer mon départ, assurer la tranquillité de l’année et faire arrêter quelques hommes compromis dans une correspondance intéressante que je vous remettrai moi-même…

«… Je vous avoue qu’il était difficile de croire que l’homme qui avait rendu de grands services à son pays, et qui n’avait nul intérêt à le trahir, put se porter à une telle infamie. On me croyait l’ami de Pichegru, et, dès longtemps, je ne l’estime plus. Vous verrez que personne n’a été plus compromis que moi, que tous les projets étaient fondés sur les revers de l’armée que je commandais. Mon courage a sauvé la République. » Parlant de Pichegru, il disait dans une autre lettre : « Il a été assez prudent pour ne rien écrire ; il ne communiquait que verbalement avec ceux qui étaient chargés de sa correspondance. »

Ce fut donc le succès du Directoire qui entraîna Moreau aux

  1. Sur la pièce originale conservée aux Archives de la Guerre, le représentant du peuple Pelet a mentionné, quelques années plus tard, que c’est sur ses instances que Moreau y inséra cet avertissement.