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atrocement calomnié par Fauche-Borel[1], confesse dans ses Mémoires qu’il ne crut pas à la culpabilité de Pichegru. « Sans avoir aucune prédilection pour celui qui est accusé ici, on ne voit contre Pichegru que des assertions de la part d’agens subalternes dont rien ne prouve qu’ils lui aient seulement parlé, et aucune pièce n’est produite qui soit écrite de sa main ni revêtue de sa signature. » Mais le récit de Montgaillard certifié par Bonaparte arrivait au Directoire en un moment où entre lui et le président des Cinq-Cents s’était engagée une lutte à mort. Il ne se préoccupa ni de l’indignité de l’accusateur initial Montgaillard. homme taré, cupide, toujours à vendre au plus offrant et accoutumé au rôle de délateur, ni de l’invraisemblance de l’accusation, bien qu’elle transformât en un traître vulgaire et maladroit un général comblé des faveurs de la fortune, encore à la tête d’un grand parti, entouré, d’une estime voisine de l’admiration, et qui pouvait tout attendre de sa fidélité au devoir. Il n’hésita pas à se servir des documens que lui envoyait Bonaparte pour porter à Pichegru un coup irréparable et légitimer en même temps l’acte de violence qu’il médita il en prouvant à la France la réalité de la grande conspiration royaliste qu’il lui dénonçait tous les jours.

Dans l’après-midi du 18 fructidor, après l’écrasante victoire qu’il venait de remporter sur les factions coalisées en arrêtant, le matin, leurs chefs principaux, les murs de Paris, par ses ordres, furent couverts d’affiches. L’une d’elles reproduisait intégralement, comme trouvée dans le portefeuille de d’Antraigues, une lettre de Pichegru, écrite de sa main, était-il dit, lettre accablante pour lui, puisqu’en répondant aux propositions que lui avait apportées Fauche-Borel de la part du prince de Condé, elle le montrait y souscrivant avec un empressement intéressé. « Je ne ferai rien d’incomplet, écrivait-il, je ne veux pas être le troisième tome de La Fayette et de Dumouriez. Je connais mes moyens. Ils sont aussi surs que vastes. Ils ont leurs racines non seulement dans mon armée, mais à Paris, dans la Convention, dans les départemens, dans les armées de ceux des généraux mes collègues qui pensent comme moi. Je ne veux rien faire de partiel. Il faut en finir. La France ne peut exister en république ; il faut un roi ; il faut Louis XVIII. Mais il ne faut commencer

  1. Voir mon livre : les Emigrés et la Seconde Coalition.