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LE FANTÔME.

me faire, bien doucement, bien timidement, cette remarque :

— Pourquoi avez-vous été si peu gracieux pour M. de Montchal ? J’en étais plus déconcertée encore que lui…

— Je n’ai pas à être gracieux pour quelqu’un qui vient ici vous faire la cour, répondis-je sèchement.

— M. de Montchal vient me faire la cour ? répéta-t-elle, plus étonnée encore qu’émue de cette déraisonnable observation.

— S’il ne vous la fait pas, il vous l’a faite, continuai-je, puisqu’il a voulu vous épouser.

— Sur quel ton vous me dites cela ? reprit-elle ; voyons, vous n’êtes pas jaloux de M. de Montchal ? Ce serait un peu humiliant, vous savez, ajouta-t-elle avec un demi-sourire, et un hochement de tête si joliment mutin.

— Cela prouve que vous êtes comme toutes les femmes, repartis-je, vous rougissez de vos anciennes coquetteries.

— Moi, des coquetteries ? s’écria-t-elle, sérieuse cette fois, et elle répéta : des coquetteries ?…

Il y avait, dans les détestables phrases que je venais de proférer, une méchanceté si gratuite, il était si vil de frapper ainsi ce tendre cœur sans défense ! À la minute même où, pour la première fois, je passais sur elle mon énervement, j’en éprouvai un remords qui, au lieu de m’adoucir, m’irrita davantage encore. Par bonheur, l’entrée dans le petit salon de la bonne Mme  Muriel, qui se trouve de passage à Paris, coupa court à cette absurde et odieuse scène. Je profitai de l’occasion qui m’était offerte pour me retirer. J’étais horriblement mécontent de moi-même et j’avais honte, une honte qui se changea en un nouvel accès d’irritation passionnée, lorsque, après une demi-heure, Mme  Muriel demanda à me parler :

— Qu’y a-t-il entre Éveline et vous ?… me dit-elle, après s’être excusée de son intervention en des termes très affectueux et pour sa nièce et pour moi. — Oui, insista-t-elle, il y a longtemps que je la trouve préoccupée, inquiète, triste. Ses cousines l’ont remarqué aussi. Aujourd’hui, j’ai vu tout de suite que vous veniez d’avoir avec elle une discussion. Elle n’a jamais voulu me l’avouer, mais vous, Étienne, vous me parlerez… Je l’aime comme si elle était ma fille, vous le savez. Je vous aime comme si vous étiez mon fils… Un jeune ménage a quelquefois des malentendus qu’un peu de confiance dans les parens dissiperait. Ayez cette confiance…