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empêcher certains excès de se produire. Ils se produisent aujourd’hui avec une audace éhontée. On voit s’organiser, dans la presse et dans les comités, de véritables entreprises en vue de déterminer un vote parlementaire dans un sens ou dans l’autre. On ne recule, pour cela, devant rien. Menaces, injures, diffamations, calomnies, tout est mis en œuvre : c’est une terreur d’un nouveau genre, et peut-être la pire de toutes, qu’on fait peser sur une assemblée. Nos députés ne sont pas des héros ; il s’en faut même de beaucoup. Un grand nombre d’entre eux sont des hommes timides, faibles, amoureux de leur tranquillité et naturellement ennemis des coups. En ce sens, ils ressemblent aux électeurs eux-mêmes. Il en est sans doute que l’habitude finit par rendre indifférens et insensibles aux accidens de la vie publique. Elle les endurcit aux intempéries parlementaires et les revêt d’une carapace imperméable. Mais c’est l’exception, et les hommes de ce caractère sont rares. Dans toutes les assemblées, depuis qu’il en existe au monde, entre les deux partis principaux qui se disputent la majorité, il y a toujours un groupe indécis et flottant qui se porte tantôt d’un côté et tantôt de l’autre, et fait pencher la balance du côté où il se porte. Ce groupe, on le voit, est le maître de la situation ; mais il n’est pas impossible de devenir le maître de ce groupe ; et c’est le problème que les radicaux et les socialistes se sont chargés de résoudre à leur profit. Pour cela, aucun scrupule ne les gêne. Ils ont une police qui exerce sur les députés susceptibles de défaillance l’inquisition la plus étroite, la plus intime, la plus sûre qu’on ait encore connue. Le malheureux qui y est soumis n’a d’autre liberté que celle d’en gémir, et il ne se fait pas faute d’en user. Ah ! s’il pouvait voter suivant sa conscience ! mais il ne le peut pas ! Lorsqu’on cause avec lui, dans les couloirs de la Chambre ou ailleurs, et qu’il peut en sécurité s’abandonner aux confidences, il ne dissimule pas l’impression d’inquiétude et d’effroi que lui fait éprouver la marche de nos affaires. Le gouvernement actuel l’épouvante : il se demande où l’on nous mène. Un homme de simple bon sens, peu rompu aux mœurs parlementaires, serait convaincu que le premier vote de son interlocuteur sera pour renverser le ministère. Point du tout : il le soutient et le conserve. Il y a deux hommes divers dans ce député effaré, mais craintif et docile, que son intelligence inspire lorsqu’il cause en liberté, mais que la peur détermine lorsqu’il vote. Et voilà de quoi se compose la majorité. Pendant les quelques jours qui ont précédé l’élection présidentielle, la presse radicale n’a mis aucun embarras à l’avouer. —