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actuel et passager de sa sensibilité. Cette émotion, un jour mystique, un jour sensuelle, il suffit qu’il l’ait éprouvée pour avoir le droit autant que le besoin de l’exprimer : aucun scrupule de goût ou de convenance ne saurait l’arrêter. Il ne se soucie pas de mériter l’approbation et ne s’inquiète pas d’encourir le blâme. Impressions, émotions, sensations sont-elles nobles ou honteuses ? Ce n’est pas son affaire. Il suffit qu’elles soient « siennes. » De là toutes ces vilenies qu’on a sans doute le droit et le devoir de reprocher à Verlaine, mais à la condition de n’avoir pas d’abord adopté les théories du lyrisme romantique.

Ce même principe de la souveraineté de l’individu, le romantisme l’introduit dans le domaine de l’expression au nom de la « liberté dans l’art. » Une langue, on le sait de reste, n’est l’œuvre ni d’un jour ni d’un homme : et nous ne pouvons donc nous arroger toute espèce de droits vis-à-vis de cette langue que nous n’avons pas créée. Les mots ont un sens qu’il ne nous appartient pas de changer ; les phrases se construisent d’après des lois que nous sommes obligés de subir : la versification a des règles qui ne font que constater le lent et collectif travail des siècles. Aussi les meilleurs écrivains du romantisme, guidés par leur instinct qui valait mieux que leur doctrine, ont-ils soigneusement évité de mettre leur théorie en pratique. L’ardeur, belliqueuse de Victor Hugo s’arrête au seuil de la syntaxe. Et son vers s’écarte à peine du type classique. Verlaine, avec la logique de l’absurde, s’est chargé démontrer à quelles conséquences devaient aboutir les réformes préconisées par le cénacle. Son bon plaisir est sa règle unique en art comme ailleurs. Sa fantaisie individuelle, opérant comme un sûr agent de décomposition, va dissoudre le vocabulaire, la syntaxe, le dessin et le rythme du vers.

Verlaine a toujours été un très médiocre écrivain. Au temps même de sa ferveur parnassienne, quand il se donnait pour un puriste et un artiste sévère, il était coutumier d’étrangetés qui n’étaient pas voulues, d’une incohérence dans les images et d’une impropriété dans le choix des termes qui sont tout uniment le fait d’un homme qui ne sait pas bien sa langue. Ce sont de vulgaires incorrections qui échappent à son ignorance. Mais qui parle d’incorrections ? et, si chacun est maître de sa forme, ne suis-je pas libre d’entendre les mots au sens où il me plaît et de les associer à mon gré ? Il me suffit que je m’entende et que je trouve aux mots ainsi agencés un charme qui n’est que pour moi. Et c’est si commode ! Par là se trouvent excusées d’avance les fautes de français, les obscurités, les contournemens de phrase, le tortillage et la clownerie, les répétitions, le pathos, le galimatias, l’emploi des