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ne faisait guère, et c’est à quoi l’on nous convie. Cette lecture, pour désobligeante qu’elle soit la plupart du temps, a un mérite incomparable, c’est que, dissipant toute légende et tout malentendu, prévalant contre les glorifications ingénues ou ironiques, elle remet les choses au point : je veux dire qu’elle fait apprécier l’égale platitude du personnage et de son œuvre. Aussi ne saurait-on la trop recommander aux débutans de lettres qui, sur la foi de leurs aînés, seraient tentés de croire au génie de Verlaine. Elle leur évitera d’être à leur tour victimes d’une sorte de plaisanterie énorme et dupes d’une insolente mystification.

Car c’est bien ainsi qu’il faut envisager l’extraordinaire renommée de Verlaine. Ç’a été une mystification, fâcheuse, à vrai dire, et qui ne tourne pas à l’honneur de ceux qui s’y sont prêtés, mais une mystification. Il est curieux d’en rappeler l’histoire. Les premiers recueils de Verlaine : Les Poèmes Saturniens, les Fêtes galantes, la Bonne Chanson. contenaient plusieurs des pièces qu’on devait par la suite admirer comme autant de bijoux délicats et de frêles chefs-d’œuvre. Or ils avaient paru au milieu de la plus complète indifférence. On n’avait vu dans leur auteur qu’un disciple souvent maladroit de Leçonte de Lisle, de Banville, de Baudelaire, un parnassien dont les prétentions à l’art impeccable n’étaient guère justifiées. On en avait tout juste retenu quelques vers où se formulait d’une façon hautaine et un peu comique la plus pure doctrine parnassienne :


A nous qui ciselons les mots comme des coupes
Et qui faisons des vers émus très froidement,
A nous qu’on ne voit point les soirs aller par groupes
Harmonieux au bord des lacs et nous pâmant,
Ce qu’il nous faut, à nous, c’est, aux lueurs des lampes,
La science conquise et le sommeil dompté,
C’est le front dans les mains du vieux Faust des estampes
C’est l’obstination et c’est la volonté !
Libre à nos inspirés, cœurs qu’une œillade enflamme,
D’abandonner leur être aux vents comme un bouleau :
Pauvres gens ! l’art n’est pas d’éparpiller son âme.
Est-elle en marbre, ou non, la Vénus de Milo ?


Puis on avait perdu de vue leur auteur. Un beau jour on apprit que Verlaine, après un plongeon de dix ans, faisait sa rentrée dans le monde des lettres ; pendant ces dix ans il avait, disait-on, et on disait vrai, descendu tous les degrés de la déchéance morale, commis toutes