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Ce qui est positif, c’est qu’en 1533. Pedro de Heredia, un Madrilène retour d’Amérique, obtenait audience de Charles-Quint. Castellanos nous le présente avec emphase : « C’était un gentilhomme bien connu de Madrid… Les médecins lui taillèrent des narines de rechange dans le mollet… » En tous cas, type du partisan aventureux, borrascoso, disent ses biographes, il avait été un intrépide lieutenant-général de Pedro Badillo à Santa-Maria. Ses explorations l’avaient familiarisé avec les rivages pittoresques qui s’étendent jusqu’au Darien et auxquels il avait donné le nom, point trop immérité, de la Nouvelle-Andalousie. Le roi, avec ce geste superbe et heureux qui, en ces temps de légende, prenait couramment hypothèque sur des pays parfois même ignorés, mais dont toujours, en effet, une chance de joueur réalisait après coup les fictions enchantées, le roi les lui donnait en adelantamiento, terme dont il faut renoncer à traduire la hardiesse épique, la magnifique et insolente assurance. (Adelante, en avant.) Presque point de conditions, sinon l’appareillage immédiat avec deux cent cinquante hommes dont le conquistador choisit les trois cinquièmes sur liste, parmi ses proches d’abord, ses amis, puis entre la pègre oisive des rues de Séville, et qu’il compléta en relâche à l’Ile Espagnole (Porto-Rico). C’était, un fier vol de faucons que la bourgade indienne de Calamar vit ainsi, le matin du 15 janvier 1533, s’avancer par cette même Boca Grande où nous glissons aujourd’hui, ancrer son vaisseau de guerre et ses deux caravelles, dûment pourvus, notent, les narrateurs, d’une artillerie sans réplique. La bande s’enorgueillissait, entre tant de noms plus sonores que la bourse de leurs porteurs, des Sébastian de Heredia, cousin de l’Adelantado, des Alonso de Montes, des Portugais Hector de Barros et Francisco César, un vrai héros, celui-là, des Martin Yafiez Tafur, des Nuño de Castro ; — tous mériteraient d’être cités. Six jours après, — le soleil comptait peu, alors, — commençait la construction de la ville nouvelle. On s’était rendu compte, sur-le-champ, de la nécessité de la retrancher fortement ; l’œuvre des murs fut donc confié spécialement à Francisco de Murga, le célèbre mestre de camp, qui les édifia d’après les règles des places fortes en honneur à l’école des Flandres.

Et l’histoire de cette première implantation est encore guerrière, amusante et ingénieuse comme une chronique de Froissart ; c’est le moment des premières luttes avec les Turbacos, et