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du capitan San Martin et de ses deux compagnons, jusqu’au pied des montagnes de l’Opon, suivie bientôt après du combat de Nemocon, le premier que Quesada ait livré aux Chihchas. Puis voici la traversée de la Savane à l’hallali des Panches qu’on dit posséder de l’or, la défaite de ces malheureux, l’exploration aux mines d’émeraudes de Somondoco, l’entrée sur les territoires du zaque de Tunja qu’on capturait et dont on pillait les trésors, quand les soldats enthousiasmés criaient en marchant : Peru ! Peru ! señor general ! Il se passa là, du reste, des scènes aussi déconcertantes, aussi scandaleuses et d’un retentissement aussi suffocant dans l’âme indienne que l’avaient pu être deux siècles auparavant, pour la chrétienté, la conduite sacrilège de Philippe le Bel envers Boniface VIII. Ce zaque, grand vassal de l’empereur ou Zipa, possédait sur son territoire le sanctuaire d’Iraca, la « Rome des Muyscas, » située sur l’emplacement de la Sogamoso boyacéenne, et siège alors du gouvernement théocratique de l’empire, but des offrandes et des pèlerinages. Le grand pontife, — je résume Pereira, — était choisi par quatre puissans caciques portant le titre d’ « électeurs. » Il officiait dans le Temple du Soleil, tuile d’or et d’émeraudes, dit la légende, en tous cas, le plus somptueux, après celui de Cuzco, que renfermait le Nouveau Monde. Dès leur arrivée dans le pays, les conquérans avaient laissé percer une hâte si brutale de s’emparer des trésors qu’il contenait que les Indiens se méfièrent ; et, appelant à leur secours la vieille ruse, plus efficace que les flèches, réussirent à dépister les premiers tout en mettant à l’abri les seconds. Quesada en eut vent et frappa un coup. Il s’assura de la personne sacrée de Quimuinchaleca, le roi. Celui-ci s’était tellement identifié avec la majesté de son dieu que, comme Boniface, souffleté par le gantelet de Nogaret, il mourut de douleur et de saisissement. Premier et décisif coup de hache donné aux croyances indigènes ! Pour les Espagnols, ce n’était que le signal du sac. Iraca prise, le temple pillé s’écroulait bientôt dans les flammes sous la rage de ces Erostrates.

Le reste ne figure plus qu’épisodes secondaires, expédition sur les llanos et Neiva, retour vers les plateaux, la concentration des troupes à Mequeta pour l’attaque de ces bois de Facataliva où Tisquesuza, fuyant, devait trouver la mort. C’est enfin son malheureux successeur Sazipa consentant, après quelques succès sur ses adversaires, à se soumettre, sans que cette